Rencontre avec TFIF Events : collectif queer et engagé de la scène lyonnaise
Retranscrire une rencontre, transmettre une histoire, délier les langues et apprendre de celles·ceux qui façonnent le paysage des cultures électroniques. Technopol part à la découverte des personnalités singulières de notre milieu, certaines dans l’ombre et d’autres sur le devant de la scène.
Rencontre avec Angel Karel, fondatrice du collectif lyonnais TFIF EVENTS – The Future Is Female et son acolyte Elodie. Deux têtes pensantes d’une initiative engagée pour donner une place aux artistes femmes et aux individus dont l’identité de genre ne s’inscrit pas dans les normes binaires.
Hello Angel, Elodie. Pour commencer, pourriez-vous présenter TFIF EVENTS ? Comment ce projet est-il né ?
Le collectif est né en 2017 et fondé par moi-même (Angel). TFIF EVENTS avait pour vocation de soutenir les artistes femmes dans la musique électronique. On organisait les soirées [The Future Is Female] à l’Annexe, un petit club, un bunker à Lyon.
L’émergence du collectif et l’envie de le faire grandir nous a amené à muter au Ninkasi Gerland dans le sud de Lyon où la capacité est plus importante, environ 700 personnes. Cela nous a permis d’imaginer toute une scénographie et une mise en scène de performances. Nous avons pu élargir le booking au-delà de la scène lyonnaise avec des artistes de Berlin et Paris entre autres. C’est là qu’est né le concept des [NO GENDER].
La genèse de ces soirées est partie d’un rêve d’Angel. C’était un personnage angrogyne en quête de découverte de lui-même et des autres, avec une sexualité débordante et une envie de se faire plaisir : un côté très hédoniste qui entrait en jeu. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons mis en place une dark room pour la liberté sexuelle pendant nos soirées.
Angel Karel au milieu pour le lancement de [NG], marque de vêtements en latex en collaboration avec Kinkyx_Shop lors d’une [NO GENDER] The Female Manifesto ©Charles CHATARD
Vous revendiquez le collectif comme techno, queer, punk et féministe. Pourquoi cette définition ?
Nous travaillons un projet culturel : la techno, le mouvement punk et le mouvement queer. Nous nous sommes rendues compte que la techno dans les années 90 était une techno revendicative notamment pour dénoncer les discriminations et revendiquer les droits des minorités. Finalement, le mouvement punk était proche de cela également.
Le mouvement queer s’affranchi lui aussi des standards de la société et nous trouvions intéressant de le meler au féminisme, point de mire du collectif. Ce militantisme va bien au-delà de la lutte contre le patriarcat, contre la vision hétéronormée et est au contraire synonyme d’ouverture sur différents domaines.
Aujourd’hui nous nous considérons plutôt comme des féministes humanistes ouvertes sur la liberté de tou·te·s, de la liberté des genres et des corps. Le but ultime est que toutes les minorités et majorités puissent se rencontrer et passer une soirée en toute bienveillance. Faire en sorte que les différences soient vectrices de bien-être et d’acceptation, que chaque personne se sente affranchie pour ce qu’iel est, de manière libre, sans jugement et sans complexe, dans un état d’émulsion collective.
C’est l’alliance de tout cela qui fait le projet de TFIF EVENTS.
[SCUM] #1 UNLEASH TFIF EVENTS ©Charles CHATARD
Quelles actions concrètes menez-vous en faveur des femmes et des communautés LGBTQIA+ ?
Dans nos soirées, il y a une forme de libération des corps, chacun·e peut s’habiller comme iels le souhaitent, ou ne pas s’habiller du tout (rires). Voir communier tous ces corps différents avec le prisme techno est pour nous une manière de donner des pistes d’entente entre différentes communautés qui ne se seraient pas si facilement rencontrées dans un autre contexte.
Les minorités LGBTQIA+ sont soutenues par des organismes, des administrations mais il manquait ce côté rencontre, rassemblement et fête. Il y a effectivement des aides qui existent mais dans des situations un peu particulières. Nous arrivons en complément de ces structures et apportons un lieu safe et bienveillant pour ces communautés.
Nous programmons aussi de nombreuses artistes queer. Nous avons aussi lancé les [NO GENDER] The Female Manifesto, avec un line-up 100% femme, qui seront réconduites chaque année.
Vous parlez justement des safe-places, qu’avez-vous mis en place pour garantir cela ?
Nous travaillons beaucoup avec les équipes de sécurité des lieux où nous organisons nos soirées. Nous avons aussi une charte que nous envoyons à chaque détenteur·rice de billet et qui explique bien tout cela.
Avec Le Sucre par exemple, nous avons une soirée qui s’appelle [SCUM] et qui est encore plus ouverte. Ce qui est assez génial, c’est que nous arrivons à mélanger nos deux publics.
L’idée est que les personnes se sentent bien et qu’iels se sentent suffisamment à l’aise pour faire ce qu’iels veulent. Ces instants de rencontres entre différents publics sont indispensables pour nous, ils permettent d’apporter la connaissance de l’autre, de celui·celle qui vivrait différemment de soi (ou pas) et d’enlever les peurs et les barrières. Nous nous devons d’éclairer tous les publics, c’est un apprentissage qui permet d’initier des espaces-safes de base.
C’est aussi important de bien former nos bénévoles sur le consentement, la bienveillance et le respect, pas de gestes déplacés et pas de photos autorisées pendant nos soirées. Malgré le fait de prôner un espace safe, cela arrive tout de même de nous retrouver avec des personnes malveillantes. Nous travaillons avec l’association Purple Effect car leur démarche est juste incroyable, iels sont présent·e·s à toutes nos soirées.
Nous étudions aussi la création d’une application d’alerte pour que les victimes ou témoins puissent signaler un geste déplacé ou s’iels se sentent mal dans nos soirées. En attendant, nous passons par Télégram et cela s’appelle [NO GENDER] CLUB SOS, afin que nos bénévoles puissent intervenir directement avec le public. Nous voulons renverser la tendance et montrer que les agresseur·e·s n’ont pas leur place en soirée. Nous sommes très autoritaires sur ces sujets : s’il y a un geste déplacé, nous pouvons faire de la pédagogie mais nous raccompagnons gentiment la personne vers la sortie. Il n’y a pas de compromis possible car nous ne voulons pas prendre le risque que cela recommence. Nous avons 20 bénévoles par soirée et un stand de RDR avec notre partenaire Keep Smilling. Il y a des maraudes en plus des agents de sécurité et deux bénévoles sont dédié·e·s à cette application. Purple Effect forme aussi ses équipes à cette thématique de bienveillance, de respect et sur tous les aspects de RDR. C’est l’alliance des forces de nos trois structures qui rassurent notre public.
Les performances font la particularité de vos soirées. Comment sont-elles intégrées dans votre programmation ?
Les performeurs et performeuses présentes dans notre gang sont là pour scandaliser, pour gêner mais aussi ouvrir un nouveau terrain de jeu à notre public. Nous proposons par exemple des performances de shibari (Oh_Juliette) ou encore de Needle Play (Diane Killer Officiel). Certaines personnes ne connaissaient pas ces univers mais cela a permis de les intéresser et de jouer l’expérience. Nous voulons démocratiser les pratiques sexuelles et montrer notre vision artistique et libératrice pour celles et ceux qui adhèrent à ces disciplines.
Performance de Shibari de Oh_Juliette ©Charles CHATARD
Les performances travaillent notamment sur la représentativité du corps et de notre identité, qu’on peut retrouver dans la libération du genre et de son soi intérieur. Je pense au duo Azelka & Stanoo Le Chien, qui imaginent des performances avec un esthétisme BDSM en combinant aussi leurs univers enfantins intérieurs, que nous avons tous.tes. Patricia ChaussePisse, Nagastyx et Katy Perrache, nous confrontent directement aux codes sociétaux établis, avec une joie de cœur et des convictions qui nous submergent à chaque fois. L’idée est de permettre aux personnes qui viennent à nos soirées de se découvrir, de s’assumer à travers un art visible sur scène. C’est cela qu’on recherche. La seule limite est bien sûr la bienveillance et le respect de l’autre. Nous voulons aussi que le milieu des performances Drag soit reconnu comme un art à part entière et que ces artistes puissent vivre de leur passion.
Avez-vous constaté une évolution du public sur la libération des corps et le lâcher prise ?
De plus en plus de personnes jouent le jeu en venant à nos soirées sur cet esthétisme du BDSM. Il y une vraie communauté et on le voit à travers notre public. Au départ c’était assez timide, il a fallu qu’on travaille aussi sur le contenu de ce que nous voulions proposer, que cela passe par des images ou de la performance.
C’est aussi un sujet générationnel, la jeunesse n’a pas forcément envie de choisir un genre mais plutôt de se sentir libre comme elle l’entend et sans jugement.
©Charles CHATARD
Comment percevez-vous la scène lyonnaise sur les questions d’inclusion et de mixité ?
Il y a beaucoup de collectifs de femmes qui se sont créés mais cela est assez paradoxal car nous ne devrions pas avoir à faire tout cela pour se sentir représentées. Finalement, c’est un sujet qui ne touche pas qu’à la musique puisqu’on peut aussi le constater dans le sport ou l’art en général. Néanmoins, il y a une forme d’émancipation collective dans le fait de se sentir bien et de manière égalitaire.
Dans les collectifs à Lyon et dans les clubs, il y a un réel effort qui a été fait pour programmer des femmes et les représenter, ce qui existait moins avant. La notion d’inclusivité entre dans les mœurs et il y a une recherche de mixité dans les programmations.
Il y a notamment le collectif Plus belle la Nuit avec leurs soirées Garçons Sauvages qui font avancer les choses pour la découverte de soi et des autres. Et d’autres collectifs techno qui sont riches de propositions pour développer la scène féminine. Toutes ces initiatives permettent de sortir des standards et c’est une bonne chose.
Quelles sont les différences entre vos soirées [NO GENDER] et [SCUM] ?
Les [NO GENDER] sont les prémices, le premier concept du collectif TFIF EVENTS. Ces soirées sont avant tout sur une question du genre et sur une esthétique BDSM et la liberté du corps : c’est la découverte. Alors que les [SCUM] sont plutôt axées sur l’émancipation, là où la découverte a déjà été opérée disons. Il y a une forme de révolte dans ces soirées, le côté punk et scandale : jusqu’où pouvons-nous extravertir nos corps et le côté anti-conformiste. Nous utilisons la mode, (nous faisons des défilés en latex par exemple), mais au sens où nous utilisons les vêtements pour s’émanciper, se révéler et s’approprier nos corps.
Il y a un socle très commun dans nos concepts mais on les a imaginé comme un parcours de vie : d’abord la découverte, puis ensuite l’émancipation. On travaille d’ailleurs sur un troisième concept qu’on te dévoile en exclusivité : la spiritualité qui vit en chacun.e de nous, parfois animale et sauvage. Bien on t’en dira plus !
Quel est l’univers musical de TFIF Events ?
Les [NO GENDER] sont plutôt portées sur la techno indus dark assez noire et brutale tandis que la [SCUM] est plutôt une techno punk avec du live, là où aux [NO GENDER], il y a uniquement des DJs sets.
Après le Covid, nous avons senti l’importance de se constituer en gang, travailler en équipe est vital pour nous. On n’imagine pas les choses autrement, surtout quand il s’agit d’exporter nos soirées. Nous n’avons pas envie d’aller dans un endroit sans nos DJs et performeur·euse·s. Nous sommes une grande famille et c’est aussi ce qui nous caractérise.
Nous travaillons beaucoup sur les performances de chaque date puisque nous essayons de donner une direction artistique et esthétique différente à chaque fois.
Par exemple Azelka (une de nos performeuse) peut très bien arriver en noir gothique pour la [NO GENDER], et arriver en punk avec une crête et des vêtemens colorés, tenues en latex rouge pour la [SCUM].
Azelka et Stanoo Le Chien à la [SCUM] #1 UNLEASH TFIF EVENTS ©Charles CHATARD
Vous organisez prochainement un événement le 29 avril à Montpellier. Comment appréhendez-vous cette soirée ?
C’est la première fois que nous sortons de Lyon, dans une grande warehouse qui plus est. Nous voulons faire vivre l’expérience à un maximum de personnes et cela nous pousse aussi à nous développer pour permettre d’offrir cela au public. C’est vraiment cool de le faire avec Dieze Warehouse, nous allons pouvoir accueillir plus de public, qui est parfois frustré de ne pas pouvoir venir à nos soirées lyonnaises. Être dans un monstre de béton et d’acier colle parfaitement avec l’esthétique BDSM de nos soirées. Cette immensité noire et profonde, apporte à l’expérience une atmosphère particulière. Ça donne du grain, de la matière au son pour le rendre explosif.
Ainsi, nous ouvrons notre champ de vision, pour travailler la dimension technique de nos soirées : la lumière et la scénographie qui doivent être imaginées d’une manière différente.
Comme je te le disais, on emmène tout notre collectif avec nous, mais nous voulons aussi créer du lien local sur Montpellier. Si cette date se passe bien, nous avons prévu de travailler avec un collectif de cette ville portant les mêmes valeurs pour réitérer notre aventure !
Nous sommes très heureux·euses de travailler sur un projet nouveau, avec un public que nous ne connaissons pas encore, c’est très excitant même si nous sommes dans l’inconnu total. C’est un challenge mais c’est aussi ça qui nous stimule.
Quels sont vos projets pour la suite ?
Nous avons une grosse date qui arrive en septembre, une [NO GENDER] XXL au Transbordeur. Nous allons être enfin dans un lieu qui pourra accueillir tout notre public ! D’ailleurs, pour la petite anecdote, c’est lui qui nous réclamait de jouer dans cet établissement culturel. Comme quoi, notre public nous pousse à faire de grandes choses et nous espérons aller loin avec lui ! Pour cette version XXL, nous sommes encore dans les peaufinements d’une ambiance BDSM XXL. Le lieu se transformera en grand Donjon TFIF EVENTS avec en maîtresses de cérémonie Angel Karel pour la musique et Diane Killer pour la domination ! Attention à vos oreilles ! Nous y retrouverons notre gang et une invitée de renom que nous gardons encore secret ! Nous dévoilerons le line-up début juillet.
Un mot de la fin ?
Cette année, nous avons un soutien culturel très important pour nous qui est notre résidence au Sucre pour les soirées [SCUM]. C’est une vraie reconnaissance de la part d’une institution aussi influente, cela montre que nos actions ont du sens et que nous faisons partie du champ culturel lyonnais. L’équipe est vraiment géniale et c’est une très belle collaboration. Nous avons une réelle chance de pouvoir nous exprimer dans ce lieu.
Tu nous demandais tout à l’heure si les mentalités évoluaient sur la libération des corps, et bien cette résidence en est la preuve.
Tous les événements de TFIF Events à venir sont à retrouver ici.
Interview dirigée par Candice Demirdjibashian
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