Rencontre avec le Zoo, club mythique genevois autogéré depuis 20 ans
Entrez dans le club et venez fouler les plus beaux dancefloors européens. Technopol est parti à la rencontre des gérant·e·s, des programmateur·rice·s, des chargé·e·s de communication… qui ne cessent de faire vivre nos chères et tendres musiques électroniques. Une ode à leur passion, dans ces lieux de culture, de rencontre et de création : iels se battent pour continuer à nous accueillir dans toujours plus de folies, d’inclusivités et surtout de voyages musicaux. Comment ont-ils évolué depuis leur soirée originelle ? Quelle est la particularité de leur programmation ? Qui sont les fêtard·e·s qui font vivre leurs murs ? Et comment nous feront-ils danser demain ? Iels y répondent dans Enter The Club.
Pour ce premier épisode d’Enter The Club, c’est en Suisse que nous franchissons les portes d’un centre culturel autogéré depuis 1989, L’Usine. Bien installé à l’étage du bâtiment, le Zoo rythme la scène électronique genevoise depuis plus de 20 ans. Terre d’accueil des plus grands noms tels que Ben Klock, Paula Temple, DJ Bone, Ellen Allien, Laurent Garnier, Brodinski, Ben Sims ou encore Miss Kittin associés aux pépites de demain, La Penderie Noire, .wav_909, Alex Nantaya, Mirlaqi, Sch_tsch, Pelin Vedis… La programmation du club, tenue depuis septembre par Calvin a déjà vu passer derrière les platines Chlär, Lacchesi & Mac Declos, Parfait, Glenn Underground… Entre psytrance, drum’n’bass, techno, house, le Zoo même à l’époque du Débido s’est donné pour mission de faire trembler son public et de vouer son dancefloor à nos musiques favorites. La plupart des gens connaissent aussi le Zoo pour l’ambiance qu’il y a devant l’Usine, avec les groupes de fêtard·e·s qui font des contre-soirées aux Pyramides et sur la place.
Je suis partie à la rencontre de Calvin Grosvernier (responsable de la programmation) et Matteo Quaranta (responsable de la communication) au Zoo lors de mon passage à Genève.
Salut les garçons, est-ce que vous pouvez commencer par me raconter l’histoire du bâtiment et du club ?
Calvin : L’histoire du bâtiment est assez inhérente à celle du club. L’Usine est née à Genève, à la fin des années 80, avec tout ce que l’on connaît de l’histoire européenne à ce moment-là, dans un contexte de trou culturel. En réponse à cela, s’est formé le collectif État d’Urgence qui a demandé à la ville de mettre à leur disposition un espace dédié à la culture autogérée. Il y a encore un de ses représentants qui travaille au Cheveux sur la soupe, le coiffeur du bâtiment. Il était présent au commencement avec son conjoint (Pierandré Boo aussi appelé Greta Gratos). L’Usine, avant d’accueillir les 16 associations qui y sont présentes, était un ancien bâtiment de dégrossissage d’or ouvert en 1850. Pendant longtemps, le Zoo s’est appelé le Débido, la Makhno était le Moloko et Le Rez était exploité par Kalvingrad et P.T.R. Le besoin de représenter les musiques électroniques vient du fait qu’elles aient toujours été oubliées et mal représentées. Dans cette structure, il y avait plutôt du rap ou du rock et la Makhno paissait principalement du punk. Aussi, au moment où le Zoo s’appelait encore le Débido, les soirées étaient déjà portées sur des sonorités house avec un public très LGBTQIA+. Une grande majorité du collectif était homosexuel·le·s, trans ou drag. Les musiques électroniques rythment depuis toujours les soirées LGBTQIA+.
Matteo : Le club n’est pas seulement pionnier dans les musiques électroniques mais également dans le Vjing et le mapping. Les créateurs des logiciels Mad Mapper et Architecture 1024 (des genevois) ont fait leurs premiers tests au Zoo. Lorsque Pom, notre technicien qui s’occupe également de la scénographie, a une idée, il peut sans hésiter les contacter. Nous sommes vraiment un club qui assemble équitablement une programmation musicale pointue, cool, variée et électronique à une programmation VJ réalisée par des habitué·e·s et des débutant·e·s. Nous avons d’ailleurs mis en place un partenariat avec l’association genevoise Scène Active qui accompagne des jeunes en situation de décrochage scolaire. Avec 7 d’entre eux·elles, iels sont venu·e·s pendant une semaine se former à travers des ateliers de Vjing et de mapping et créer la scénographie que l’on a en ce moment (celle-ci change tous les mois). Ce qui était vraiment bien c’est qu’iels ont pu assurer toute la permanence VJ et mapping du vendredi et du samedi. On avait rajouté une grande table devant la régie. Ce sont des jeunes qui commencent à sortir et qui savent ce que le Zoo représente dans le paysage électronique. Faire les visuels pour 700 teufeurs est une expérience super gratifiante !
Calvin : Le choix de représenter les musiques électroniques au sein du club est donc venu de la sous-représentation du genre et de sa concordance avec les valeurs du collectif. C’était leur culture et les musiques qu’iels écoutaient. Peut-être même le seul endroit où iels se sentaient représenté·e·s et bien.
L’Usine à Genève
Pourquoi avoir choisi de s’appeler le Zoo ?
Matteo : Le Zoo est né en 1999 et de ce que PomPom m’a raconté, c’est qu’avant, la cloison gauche de la salle était une vitre grillagée, donnant un effet « enclos de Zoo » pour les gens qui passaient devant et voyaient des fêtards en transe ». Le bâtiment hébergeait déjà des activités culturelles, le Débido organisait souvent des teufs et quand tu passais dans le couloir, tu pouvais observer les animaux du Zoo. Je ne sais pas jusqu’à quelle heure iels paradaient sur le dancefloor mais tu devais voir de sacrées espèces (rire) !
Quelle est la particularité de ta programmation Calvin ?
Calvin : Je suis passionné par mon métier de programmateur. J’aime être curieux et être au clair avec ce qu’il se passe. J‘aime découvrir de nouvelles choses et en particulier dans les musiques électroniques. Genève est une petite ville mais je passe tout de même du temps à essayer de dénicher les artistes émergent·e·s. À force, tu sais qu’un·e artiste est en train de faire décoller sa carrière : suivant les tournées effectuées, sur quel label iels sort ses tracks et chez quelle agence iels signé. Le dernier exemple que j’ai en tête c’est La Penderie Noire. Étoile montante de la scène genevoise, elle vient de signer chez Core Agency à Paris. Il y a quelques semaines elle à fait son premier all night long au Zoo. Ma direction artistique musicale est tournée vers le mélange entre artistes reconnu·e·s et artistes émergent·e·s. Ce mixe me permet d’assimiler des identités au-delà des notoriétés. Booker des artistes locaux et locales rend service à la scène genevoise : pas besoin d’aller vivre à Berlin pour devenir DJ, il se passe aussi des choses à Genève ! J’ai la possibilité de faire jouer avec un·e local·e, avec un·e artiste international·e qui a peut-être un label, une agence ou des connaissances, c’est comme ça que l’on créé une boucle. Tu peux lui filer une clef et ton track sortira peut-être sur le various d’un label. Plus globalement, ce qu’aime au Zoo, c’est être éclectique. Il y a des soirées house, techno, drum & bass, psytrance, hardcore… vraiment de tout ! Le club est connu pour sa programmation musicale électronique plutôt intense, rapide et sombre, c’est ce qui marche et ce que le public aime recevoir. J’aimerais pouvoir proposer d’autres genres comme la trance.. Dans cette idée, on a invité il y a quelques semaines, Courtesy et Aadja.
Est-ce que tu intègres la notion de circuits-courts artistiques dans ta programmation ?
Calvin : Oui, carrément. Il m’arrive de parler aux agences sans proposer de dates précises pour qu’elles me tiennent au courant de la venue d’un·e artiste à Paris ou à Lyon par exemple. La veille ou le lendemain de son gig, l’artiste peut venir jouer chez nous. Je fonctionne aussi avec le double booking que je mets en place avec Le Sucre et Le Petit Salon à Lyon, La Belle Electrique à Grenoble, L’Elysia à Bâle ou le Badaboum à Paris. Le problème en Suisse c’est le röstigraben*. En suisse allemande et en suisse romande, chacun regarde de son côté donc tu peux très bien faire jouer un·e artiste le vendredi à Genève et le samedi à Zurich ou à Bâle. C’était le cas pour Courtesy par exemple. Elle jouait le vendredi chez nous et le samedi à Zurich. Personne de Zurich ne va venir à Genève pour voir Courtesy et inversement.
*Le röstigraben : expression d’origine suisse alémanique qui désigne les différences de mentalité, de langue et d’éventuels clivages politiques entre la Suisse romande francophone et la Suisse alémanique germanophone.
Quel est votre meilleur souvenir au ZOO ?
Calvin : J’ai booké un duo d’artistes russes pour venir jouer le 25 février donc le lendemain du début des bombardements. Iels viennent de la scène moscovite, alternative et pour moi c’était évident qu’iels n’étaient pas pro Poutine. Tu ne peux pas accuser toute la population russe des agissements de leur président. C’est comme partir du principe que tous les américains sont cons parce qu’iels ont élu Trump. En sortant de la gare, PTU sont venu·e·s me remercier d’avoir maintenu la date en s’exclamant ne pas avoir voté pour Poutine. J’ai reçu un message de leur part après la soirée pour me remercier à nouveau de les avoir tout de même fait jouer. D’ailleurs, je crois qu’iels n’avaient toujours pas pu retourner en Russie. Un autre souvenir remonte à la soirée avec Ben Sims. J’étais dans le coin de la scène, je lui apportais des trucs à boire et j’écoutais. Je n’avais jamais eu l’occasion de le voir jouer. A la fin de son set, il y a un de ses fans qui me hurle dessus pour m’interpeller. Il me demande si c’est possible de prendre une photo avec lui, m’expliquant qu’il le suit partout depuis 30 ans. Je rejoins Ben Sims en backstage et je dois avouer qu’une fois installé dans notre conversation, j‘oublie totalement de lui demander si le quadra pouvait venir faire sa photo. Ben Sims me raconte des anecdotes de soirées dont l’une d’elle avec des fans qui voulaient se photographier avec lui. J’en profite pour rebondir et lui demander de faire venir la personne qui attendait toujours vers l’entrée des backstages. Après l’approbation de Ben Sims, je vais le chercher et dès qu’il rentre dans la salle, je le vois regarder l’artiste avec des yeux qui pétillent en lui racontant avec enthousiasme ses 30 dernières années à le suivre sur la plupart de ses gigs « la première fois que j’ai assisté à un de tes sets, c’était lors d’une rave dans le sud, j’avais 16 ans et j’en ai 46 maintenant ». Il tremblait en me donnant son natel pour que j’immortalise ce moment. Ça m’a vraiment fait plaisir de partager ce moment avec lui. Il a été respectueux du début à la fin sans trop être insistant auprès de Ben Sims.
Matteo : J’ai beaucoup moins d’histoires avec les artistes car je suis plus auprès du public et dans les circuits com. Depuis notre réouverture après la pandémie, il y a de nombreuses personnes qui sont venues nous voir pour nous féliciter. Je me souviens m’être fait prendre dans un tunnel de conversation par un client qui me disait « C’est vraiment super que vous ayez enfin rouvert sans restrictions. On ne vous en veut pas d’avoir dû ouvrir avec les règles 2G+*». Nous n’étions pas du tout en accord avec cette règle qui sonne pour nous comme étant discriminatoire et donc à l’opposée de nos valeurs. Être face à ce client plein de gratitude qu’on ait continué l’activité, qu’on soit retourné en format club parce qu’on a dû se transformer en bar à un moment donné. À la fin d’une soirée, lors de nos debrief, on soulève les points négatifs car il faut les résoudre mais globalement la majorité silencieuse de nos client·e·s sont vraiment content·e·s et viennent régulièrement nous remercier d’être aussi réactif·ve·s en cas de soucis, d’avoir une programmation éclectique et émergente. Ce qui est assez marquant et agréable, à l’inverse des scènes comme celle de Paris, c’est que nous n’avons pas autant de client·e·s qui nous trashtalk sur les réseaux. Le Zoo est un club très bienveillant et familial avec un public qui nous soutient. Nous sommes très à l’écoute de leur ressenti et de leurs attentes, c’est pour cela qu’iels nous remercient au quotidien et qu’iels reviennent.
*Guéri·e·s ou vacciné·e·s, test seul ne garantissant pas l’entrée + Traçage du public
Pouvez-vous me parler des récentes soirées Osez Zoé ?
Matteo : On est fièr·e·s en tant que lieu et en tant qu’équipe d’accueillir ce collectif. Nous ne sommes pas à l’origine de l’initiative et je ne pense pas être la personne la mieux placée pour t’en parler. En revanche, ce que je peux te dire c’est que ces soirées sont issues d’un groupe de travail suite aux nombreuses agressions chimiques qui ont secoué le clubbing genevois et même européen. Les événements ainsi que le groupe de travail se font en non-mixité choisie, donc Calvin et moi ne sommes pas du tout dedans. Suite à leur première soirée qui a eu lieu chez nous, j’ai posté un manifeste sur le fait que la nuit est un espace libre et ouvert à tou·te·s. Malgré des réponses négatives comme quoi les soirées Osez Zoé sont la preuve du contraire, on ne prend pas en compte ce genre de commentaire. Je le redis mais nous sommes fier·e·s de les accueillir et de les soutenir. S’il y a des gens qui ne sont pas d’accord avec cela, on les invite à aller voir ailleurs. En tout cas, étant à la communication du Zoo, j‘ai pu constater une très belle réponse du public avec apparemment une super ambiance et des comportements libérés. Les retours des participantes et des organisatrices sont très bons.
Quelle est la direction du Zoo pour les années à venir ?
Calvin : Je me réjouis de l’été pour ma part. Il faut savoir que je suis arrivé à ce poste en septembre et qu’en temps normal tu reprends la programmation avec 3 mois d’avance. Ce qui n’était pas mon cas… Donc j’attends vraiment ces deux mois d’été pour prendre de l’avance et pour me concentrer directement sur septembre et octobre. Aussi, j’attends avec impatience de reprendre les résidences avec les collectifs externes. Les soirées Dub Quake et Psytrance qui sont historiques dans notre club, vont être programmées sur toute l’année. Pareil pour les soirées Analog Impakt aux tendances tribe et acidcore et les Groovadelic,… Bien sûr toujours dans un créneau très électronique entre découverte et artistes confirmé·e·s si possible dans la même soirée. La DJ Parfait lors de sa venue nous a fait exploser la jauge ! Rōse, une artiste lausannoise qui tourne de plus en plus, faisait son closing. Pour terminer, ma programmation inclut une dimension éducative pour notre public en invitant des pionnier·ère·s comme DJ Bone et Ben Sims, permet à notre jeune clientèle de découvrir celles et ceux qui ont façonné le genre qu’iels écoutent.
Matteo : Tout à fait, je pense que c’est une bonne piste pour rappeler d’où vient la musique électronique. Faire savoir qu’elle prend racine dans une population queer et racisée. C’était une musique marginalisée et aujourd’hui elle est pour certain·e·s acteur·rice·s du milieu, braconnée par les industries. Nous, on croit en la fête libre, autogérée et inclusive. C’est comme ça qu’on fonctionne et qu’on continue de fonctionner.
Calvin : J’ai de la peine à me dire qu’il y a des fans de techno qui sont homophobes et racistes !
Événement Calm Class par le Collectif Ceres
Au-delà de l’aspect club du Zoo et du fait de votre emplacement dans cet espace autogéré et artistique, avez-vous le désir d’organiser une ode aux musiques électroniques à l’Usine ?
Matteo : Oui, il y a une globale qui est en préparation pour septembre. C’est à ces moments-là que l’usine retrouve son identité qui est : prix libre partout, de l’art dans toutes les pièces, de la circulation et des échanges entre le cinéma, le théâtre, les studios d’artistes, l’atelier de sérigraphie,… Il y a tout à disposition dans cette belle bâtisse ! Pour être totalement autogéré, il ne nous manque plus qu’un jardin avec un potager !
Un petit mot de la fin pour vos habitué·e·s et celles·ceux qui vous découvrent à travers cette interview ?
Calvin : J’invite le public à venir profiter de notre offre culturelle festive ! C’est génial de pouvoir s’éduquer tout en faisant la fête. Prendre conscience d’une dimension artistique et culturelle avec ses potes sur un dancefloor c’est une expérience unique. Profitez-en et surtout de la bonne manière. Responsabilisez-vous et venez kiffer !
Matteo : Je crois uniquement en la fête libre et autogérée, je pense même que c’est son avenir. Ce n’est pas dans les circuits du capital que l’art est le plus libre et la créativité florissante. C’est toujours dans les endroits où l’on se fait confiance et où le respect est au cœur des interactions qui se passent des choses géniales. C’est pour cela que le public et les artistes apprécient autant le Zoo. Que les membres de l’asso viennent tous les jours de la semaine pour aider à faire fonctionner le lieu et qui viennent ensuite le week-end pour travailler. Il y a un échange de conscience et de gratitude grâce à notre autogestion.
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Photo de couverture : ©Lisa Frisco
Interview réalisée par Thaïs Juillerat
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