
Rencontre avec FOMO, le collectif de photographes et vidéastes de la nuit parisienne
Retranscrire une rencontre, transmettre une histoire, délier les langues et apprendre de celles·ceux qui façonnent notre paysage des cultures électroniques. Technopol part à la découverte des personnalités singulières de notre milieu, certaines dans l’ombre et d’autres sur le devant de la scène. Rencontre avec FOMO, le collectif de photographes et vidéastes de la nuit parisienne
Pouvez-vous présenter FOMO ? Qui sont les personnes derrière ce projet ?
Nous sommes un jeune collectif de photographes/vidéastes de la nuit parisienne qui est né de l’envie de se réunir et de s’entraider.
FOMO est pour le moment composé de 5 personnes :
- Chlonotpi, photographe depuis 2020, d’abord attirée par l’urbex, s’est tournée naturellement vers l’univers de la free-party
- Fany Bardin, bercée par un milieu artistique depuis son plus jeune âge, a fait aujourd’hui de la photographie son médium de prédilection
- Iheb Fehri, en France depuis 2012, street artist depuis 2016 et photographe depuis 2021
- Romain Guédé qui arpente de nombreuses soirées muni de son appareil depuis presque 10 ans
- Thomas Lee Smith, photographe autodidacte à Paris depuis 2011, tire le portrait de celleux qui croisent sa route la nuit et documente tout type de soirées sur sa page “The Party Diary”
Collectif FOMO @fomo.collectif – photo de Elias Azouz
C’est la première fois qu’un collectif de photographes de la scène des musiques électroniques se forme en France. Qu’est-ce qui a motivé la création de FOMO ?
Notre travail nous amène à être en contact avec énormément de gens, même des foules, mais cela n’en est pas moins un métier plutôt solitaire. Bien souvent sur un événement il y a un·e seul·e photographe attitré.e donc on a peu l’occasion d’échanger avec d’autres. Et même si c’était le cas pendant une soirée, le cadre bruyant n’est pas idéal pour le faire !
Photo de Thomas Smith @the_party_diary
À notre connaissance il n’y avait pas de collectif de photographes en tout cas lié spécifiquement aux fêtes qu’on côtoie. Sinon probablement que nous aurions d’abord chercher à s’en approcher.
On a donc commencé à se retrouver régulièrement, à apprendre à se connaître. On s’est vite rendu compte qu’on avait plein de choses à se dire, on s’est donc mis à imaginer ce qu’on pourrait faire de plus concret ensemble.
On a forcément à gagner à partager. L’envie commune c’est d’échanger sur nos expériences, questionner nos pratiques, comprendre nos droits, nos manières de travailler mais aussi réaliser des projets communs et réfléchir à la mise en valeur de nos images.
Parce que photographier la nuit, ce n’est pas juste capturer des moments, c’est aussi décider ce qu’on en fait !
Documenter et capturer l’essence de la vie nocturne relève d’une certaine forme de responsabilité. Quels messages souhaitez-vous porter à travers votre travail ? Intégrez-vous un prisme journalistique dans votre approche ou cela relève uniquement de l’artistique ?
Pour aboutir à une sélection de photos que l’on choisit de partager, il y a différentes strates de sélection : quelles soirées on va shooter, quels moments on choisit de capter, quelles photos on supprime, et lesquelles on choisit finalement de partager. En prenant en compte également que la majorité des photos sont prises dans le cadre de prestation avec des contraintes liées aux attentes de celleux pour qui on travaille.
À l’opposé de ce processus qui semble organisé et raisonné, il y a aussi un côté super instinctif, sans réflexion forcément structurée, on choisit de montrer ce qui nous touche, la beauté de certains instants, et en ce sens on se rapproche d’une démarche artistique.
Consciemment ou non, on met en avant des valeurs intrinsèques à l’univers des musiques électroniques (en tout cas à ces débuts), comme l’inclusivité, la liberté, l’égalité… ça nous tient à cœur de montrer les différences. La communauté queer est par exemple très présente dans nos soirées, choisir de la photographier, de la mettre en valeur, c’est leur donner de la visibilité, elle qui est trop souvent invisibilisée et même soumise à discrimination dans notre société, c’est quelque chose d’important pour nous.
Photo de Iheb Fehri @ihebfehri
Il nous semble qu’il n’y a pas de démarche journalistique recherchée et volontaire, par contre, de fait c’est un travail documentaire, le témoin d’un univers, d’une certaine population et d’une époque, garder traces de ces nuits nous semble primordial.
Vous couvrez tous·tes de nombreuses soirées. Avez-vous noté certaines évolutions de la scène depuis que vous exercez votre activité ?
On retrouve des points de vue assez différents parmi nous, probablement car nous ne sommes pas toustes dans cet univers depuis la même période et qu’on ne côtoie pas forcément les mêmes soirées.
Ce qui ressort quand même c’est que dans les années 2010/2012, on avait l’impression d’un bouillonnement, de plein de possibilités de fêtes différentes, dans des lieux atypiques (tiers lieux, squats, rooftops). Ces derniers temps, avec une répression grandissante, des saisies de matériel plus fréquentes, ces fêtes semblent se raréfier. La culture alternative se fragilise pour donner place à davantage de lieux légaux : les clubs ouvrent tandis que les tiers lieux ferment. Même les “warehouses” sont soumises à des règles. C’est une façon de faire la fête qui devient de plus en plus encadrée, et qui selon nous, perd de son charme.
Photo de Chloé @chlonotpi
La techno s’est démocratisée, les soirées sont plus faciles d’accès grâce au développement des réseaux sociaux. Cela a des aspects positifs : faire connaître cet univers, proposer des espaces dédiés à celleux qui en ont besoin. À l’inverse, cela ramène également des gens peu concernés, parfois moins au fait des valeurs du milieu et de ses origines.
Du coup on remarque aussi une certaine individualisation de la fête (pas toutes), des personnes plus occupées à filmer avec leur téléphone qu’à vivre le moment. Pour prendre le contrepied, certains collectifs et clubs interdisent son utilisation.
La professionnalisation de tout ce milieu a permis aussi la mise en place de plein de mesures pour veiller au consentement, à la réduction des risques, et à rendre les espaces de fêtes les plus safe possibles, avec par exemple des équipes dédiées.
La question de l’intimité est essentielle pour faire de la fête des espaces d’expression et de libération des corps et des esprits. En tant que photographe, comment vous positionnez-vous par rapport à cela ?
Nous avons clairement une forte responsabilité. D’abord, un peu comme la problématique des safe/safer places : on peut prendre plus ou moins de dispositions en ce sens, jamais on ne pourra prétendre d’être certain.e de respecter complètement l’intimité des gens.
En discutant on se rend compte qu’on a des approches un peu différentes même si on est toustes attentif·ve·s au consentement. Il se joue à plusieurs niveaux : à la prise de vue bien sûr, mais aussi lors de la diffusion (pour les réseaux sociaux ? pour une exposition ?) et nécessite parfois une prise de contact.
Les univers ici aussi ont leur importance, on ne capte pas de la même façon une soirée où plusieurs photographes vidéastes bien visibles sont présent.e.s qu’une soirée plus intimiste avec de la nudité. Certains clubs ou orgas nous imposent d’ailleurs qu’on ne puisse pas identifier les gens sur les photos.
Dans tous les cas, il faut admettre que notre simple présence peut être dérangeante pour certain·e·s.
Pour Chloé la question ne se pose pas trop, elle évolue dans des événements assez classiques où la présence d’un·e photographe semble admise. D’ailleurs elle ne cherche pas à entrer dans l’intimité car ça l’intimide elle-même. Même si le moment est beau, comme deux personnes qui s’embrassent, elle préfère ne pas le capter et leur laisser ce moment. Elle préfère rester invisible et ne pas déranger du tout les gens. Elle porte un regard attentionné sur les personnes et les expressions qu’elle capte et considère que c’est sa responsabilité de sortir uniquement des photos à l’esthétique soignée qui ne nuiront pas à l’image des gens.
Thomas préfère demander une autorisation préalable pour shooter dans un espace privé et essaye d’être bien identifié, et de se faire remarquer en amont de la prise de vue, ce qui est facile lorsqu’il travaille au flash. En public, si la personne est reconnaissable il va simplement lui parler, se présenter et donner son contact. Si quelqu’un ne souhaite pas être capté, demander validation avant publication ou change d’avis, il respecte son choix sans discuter.
Fany aime être discrète voire invisible, afin de capter les gens de manière spontanée. Dans certaines soirées c’est rendu plus facile, par exemple le collectif Kluster a testé un dispositif visant à distribuer dès l’entrée des bracelets identifiants les personnes ne souhaitant pas être photographiées. Sinon c’est après avoir pris ses clichés qu’elle va demander l’accord des gens, quitte à ce que ça implique de supprimer les photos. Parfois une dynamique s’instaure : des gens la remarquent en train de les photographier, mais ils jouent le jeu et gardent une attitude confiante et se donnent à la caméra. Cette validation mutuelle est idéale.
Photo de Fany Bardin @fanybrdn
Après avoir longtemps cherché à être discret, Romain photographie principalement équipé d’un bâton lumineux rouge, ce qui le rend de fait visible. Il pose donc directement la question aux concerné·e·s avant de shooter. Même s’il aurait envie d’emmener son appareil partout, notamment dans les endroits où on se lâche le plus, il pense qu’il est primordial qu’il puisse y avoir également des espaces où personne ne capte d’image.
Iheb, de son côté, marche au ressenti. D’abord, tout n’est pas bon à prendre, certain·e·s ne sont pas là pour être photographié·e·s, et cela se ressent. Il agit au cas par cas selon les situations, en s’appuyant autant sur la communication verbale que non verbale. Lorsqu’il souhaite se rapprocher, il parle et danse avec elleux, l’appareil bien visible, ce qui donne des indications supplémentaires. S’il subsiste le moindre doute, il pose directement la question ou prend la photo et demande ensuite l’accord à posteriori.
Quelle forme va prendre le collectif ? Y a-t-il certaines actions que vous souhaitez mettre en place à l’avenir ?
C’est encore un peu flou pour l’instant, on ne veut pas non plus se précipiter. Dans un premier temps pour se structurer, on est en train de créer une association. On a très envie que d’autres artistes prennent part à cet élan, créer une communauté, pour qu’on puisse recueillir des avis, transmettre, s’entraider. Il faut qu’on réfléchisse à quelle forme cela peut prendre.
On a beaucoup d’idées et d’envies. D’abord, même si on s’y est lancé, on aimerait s’extraire un peu des réseaux sociaux, tout du moins créer autre chose : organiser des rencontres physiques, qui permettraient d’échanger avec d’autres photographes mais aussi avec d’autres acteurices du milieu. Il nous semble qu’il y a beaucoup à faire pour mettre en valeur ces différents métiers (scénographes, techniciens, ingé lights.. ). On veut reparler d’art, remettre ça au centre, mais aussi parler du milieu de la nuit dans sa globalité.
Photo de Romain Guédé @romain.guede
L’autre idée c’est d’explorer de nouvelles formes de présentation, que nos images prennent vie physiquement, en dehors des normes ultra contraignantes d’instagram (ratio, nombre d’images limités). Monter des expositions, en proposant également le travail d’autres photographes, et montrer aussi les coulisses de la fête.
La force d’un collectif c’est aussi le nombre, la possibilité de résidence, de collaboration, de nouvelles aventures artistiques et humaines.
La première réussite de ce côté c’est d’être devenu le collectif photo résident Mia Mao. De leur côté, ça leur assure d’avoir toujours un·e photographe disponible ainsi qu’une facilité de communication et une cohérence artistique. Du nôtre, c’est un nouveau club dont on est chargé de définir l’image globale, et potentiellement un terrain d’expression pour des projets du collectif.
Après avoir toustes réalisé un bout de chemin en solitaire, on trouve ça super excitant de se lancer dans une nouvelle aventure commune de cette envergure. On espère de beaux projets et des nouveaux challenges à relever en équipe. Rejoignez nous aussi en suivant @fomo.collectif !
Photo de couverture : @fomo.collectif – par Romain Guédé @romain.guede