Rencontre avec Cyril Tomas-Cimmino, fondateur de l’agence marseillaise Bi:Pole 🌞

Qu’iels soient des lieux de diffusion, des artistes, des agences de production, des labels, des organisateur·rice·s d’événements,.. Depuis sa création en 1996, Technopol voue ses actions à la représentation des différent·e·s acteur·rice·s du paysage des musiques électroniques. Troisième interview d’une série de rencontre avec nos adhérent·e·s : venez sentir l’air marin et surtout créatif de l’agence de production de tournée Bi:Pole. 

Plus qu’un tourneur, Bi:Pole agit comme une maison des artistes en alliant la production, la diffusion, la promotion et le conseil pour ces dernier·ère·s. Depuis 2010 dans le paysage musical marseillais et européen l’agence se tourne également vers la production d’événements tels que le Festival Le Bon Air. Rencontre avec Cyril Tomas-Cimmino à l’origine de ce projet constamment en évolution, qui n’a pas peur de prendre de risques pour défendre sa scène et surtout sa passion.

 

Tu vas comment ? 

 Très bien merci. Je reviens de deux semaines de congés. C’est la première fois depuis ces deux folles années que je prends plus de 3 jours off consécutifs donc ça fait du bien ! Et c’était nécessaire, car je pense qu’on rentre tous et toutes dans les prolongations d’un match plutôt difficile et très éreintant. La situation actuelle est extrêmement violente pour beaucoup d’acteur·rice·s du milieu. Chez Bi:Pole, nous avons dû annuler plus de 800 représentations en 2020, pas moins en 2021 et c’est très mal parti pour 2022… Et cette violence se fait encore plus ressentir du côté des artistes ! Au début de la crise, il y avait tout de même plus d’options qui s’offraient à nous: On pouvait enclencher le chômage partiel, fermer boutique ou alors, et c’est ce qu’on a choisi de faire, prendre le risque de développer nos activités tout en maintenant nos effectifs à 100%. On a monté un maximum de résidences d’artistes, on a créé des événements alternatifs, parfois dans un format digital, parfois sur le principe de plusieurs séances et groupes, un peu comme dans des musées. On a eu beaucoup de temps pour nous concentrer sur des projets qu’on voulait aborder depuis longtemps. Comme par exemple sur des projets d’égalité des genres. On a écrit RIDER·E aux côtés de nos partenaires Act Right et Arty Farty. Le but étant de lutter à l’échelle européenne contre les violences sexuelles ainsi que de militer pour l’égalité de TOUS les genres. Nous avons également remporté plusieurs appels à projets qui nous aident à développer des actions pour la responsabilité environnementale du Bon Air et de nos tournées. Ce fut une grosse prise de risque de maintenir nos effectifs en attendant que les tournées puissent reprendre mais c’est toujours comme ça que l’on a fonctionné chez Bi:Pole. Tout ce que je cite est possible grâce à une équipe qui fournit un énorme travail, sans jamais jeter l’éponge et que je félicite une fois de plus.

 

Comment le projet Bi:Pole a-t-il vu le jour ? 

 J’ai commencé à travailler dans la culture et dans une salle dès l’âge de 17 ans. Très rapidement j’ai eu l’occasion de partir sur des grosses tournées. À 23 ans, j’organisais déjà des soirées depuis quelques années et je commençais déjà à manager des artistes. Il y avait pas mal de programmateur·rice·s en France comme Jean-Louis Brossard des Trans musicales et Pim’s des Nuits Sonores qui m’apportaient du soutien, mais malgré ça, il m’était difficile de trouver pour mes artistes, un tourneur ou un label. C’est comme ça que j‘ai monté ma boîte de production de tournées et qui fait aussi de la production phonographique. C’est d’ailleurs ce qui explique le nom : Bi:Pole. On s’est beaucoup plus concentré sur l’activité tournée, qui s’est très vite et très bien développée, même si 15 ans plus tard, l’activité phono reste bien présente. On vient d’ailleurs de s’associer avec Judaah qui dirige BFDM, Gaétan anciennement à la tête d’Emile Records et Olivier le DA du Bon Air pour créer notre maison de disques appelée Gros:Oeuvre. 

 

Quels ont été les temps forts de l’agence depuis sa création ? 

Le  closing Métaphore collectif au festival Le Bon Air en 2018. Juste derrière Helena Hauff, l’ambiance était dingue ! C’était la 2e ou 3e édition du festival Le Bon Air et nous avons dû couper le son 1h après l’heure de fermeture officielle. Autant te dire que c’était impossible de faire partir le public ou même de l’arrêter de danser. Ça nous a d’ailleurs coûté une belle facture de renfort sécurité mais c’était juste mortel ! On en garde tou·te·s un bon souvenir. Un autre grand moment de Bi:Pole, c’est lorsqu’on a réuni 6000 festivaliers en 2015 aux Docks de Paris pour le Télérama Dub Festival qu’on produisait. C’était le 21 novembre 2015, plus précisément 8 jours après l’attentat du Bataclan. On était le premier grand rassemblement à rouvrir car tout avait été mis en pause pendant une semaine. Tout au long de la soirée, nous avons dû collaborer avec les patrouilles municipales pour gérer les protocoles de sécurité mis en place. Lors du closing à 5h de Stand High Patrol sur une scène et de Panda Dub sur une autre, on avait projeté comme mapping partout sur les murs “on n’arrête pas un peuple qui danse”. On ne la ramenait pas large à l’arrivée des festivaliers et les équipes à la billetterie n’étaient pas très rassurées. C’est cette montée en puissance jusqu’au climax du closing avec une jauge toujours à 90% qui me reste en mémoire. Tout le monde a pu mettre, le temps de quelques heures, sa peur de côté pour à la place afficher un sourire béat sur le dancefloor. Je me souviens avoir coulé pas mal de larmes et je ne crois pas avoir été le seul. C’était un moment très fort !

On le répète tout le temps dans la culture et surtout en ce moment de crise et de fracture sociale mais l’entertainment et l’attractivité économique n’est pas le seul lien entre la culture et la société. Je pense que la culture est un terrain idéal pour faire émerger des idées, défendre l’égalité, la diversité et surtout nos libertés. Dans ce contexte de terreur, il y a 7 ans, c’était un grand souvenir et peut-être le plus fort.

 

Comment avez-vous croisé le chemin des musiques électroniques et décidé d’en faire un festival dédié avec Le Bon Air ?

Chez Bi:Pole, on n’a jamais emprunté un autre chemin que celui des musiques électroniques. Même personnellement, depuis mon plus jeune âge, avec ma première rave en 1997 à mes 16 ans et Le Bon Air en 2016 donc 20 ans plus tard, donc ça n’a pas bougé !  Cela faisait 1/4 de siècle que les politiques sociales et culturelles n’étaient pas très en vogue sur Marseille malgré une scène émergente et qui expérimente. Pour moi les acteur·rice·s n’ont jamais somnolé durant cette période politiquement défavorable au développement de la culture. Je te parlais de Métaphore tout à l’heure mais il y a pléthore d’autres collectifs et d’artistes. C’est toute une scène électronique indépendante qui était dans l’angle mort donc on a juste voulu la mettre à l’honneur. On s’est inspiré évidemment d’évènements tels que les Nuits Sonores auxquelles j’ai participé dès mes 18 ans. J’ai toujours admiré cette scène marseillaise, qu’elle soit artistique, associative ou entrepreneuriale, elle a toujours été au plus près du terrain, engagée et créative ! Elle mérite d’être mise à l’honneur à travers de beaux projets. Avec Bi:Pole, on avait ce souci de faire quelque chose qu’on ne voyait pas dans notre ville. Aujourd’hui, on a une nouvelle équipe municipale en place que l’on soutient. On se sent plus à l’écoute et plus inspiré par ces initiatives locales. Les collectifs locaux qui organisent tous ces événements, sont vraiment en avance par rapport aux débats sur la société. Ce sont des espaces de transmission pour la jeunesse, inclusifs et responsables. Pour 2022, avec Le Bon Air, on a très envie d’offrir aux collectifs et aux artistes locaux une place encore plus grande et plus importante.

LBA 2019 ©Marin Driguez 

 

Vous avez d’ailleurs lancé les premiers noms de la programmation pour le festival (Le Bon Air), que pouvez-vous nous dire sur cette prochaine édition ?

Sur cette édition, il y a l’envie de ne surtout pas faire un copier-coller de 2020 qui n’avait pas pu avoir lieu. Il aurait été tout à fait envisageable de remettre en branle ce que nous avions imaginé il y a 2 ans. Aussi, on ne va certainement pas partir sur l’édition de 2021, qui a pu jouer, mais à mi-régime et à quart de jauge. Pour 2022, on a voulu bosser sur un nouveau format : nocturne et diurne. Avec deux séances de jour, le samedi et le dimanche de 16h à 22h. Nous sommes très content·e·s de pouvoir déployer ce nouvel usage et cette nouvelle approche des musiques électroniques sur un événement de jour. Il y aura bien sûr les 3 séances de nuit du vendredi au dimanche, qui sera d’ailleurs une veille de lundi férié pour que vous, ami·e·s parisien·ne·s et autres, puissiez nous retrouver à Marseille durant le week-end ! Le Bon Air c’est aussi le renouvellement de nos scènes et une scénographie qui se réinvente. La friche est un énorme terrain de jeu que l’on aborde différemment d’année en année. On adore changer la circulation du public au sein du rassemblement et ne jamais cesser de vous surprendre.

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur le lien qui vous uni à Technopol et pourquoi avez-vous adhéré à l’association ?

On se connaît depuis longtemps de par les activités de chacun·ne·s. On est adhérent chez Technopol car il existe une réelle proximité de valeurs entre vous et nous. C’est encore plus flagrant en ce moment où il est important de penser en rhizome et pas en îlots isolés. On s’est beaucoup rapproché de Technopol via le collectif de l’appel des indépendants et c’est quelque chose de vraiment important d’essayer de continuer d’appuyer ces coopérations, de s’entraider et de fédérer. Garder en tête cette notion de transversalité car elle est en opposition avec la filiarisation à outrance sur lesquelles les politiques culturelles s’appuient depuis les années 80. Technopol lutte pour faire entendre les lieux de rassemblement électronique auprès du ministère de la Culture et des pouvoirs publics en général. Je crois qu’on a besoin de sortir de cette filiarisation outrancière et de sortir de nos micro chapelles pour penser un peu plus dans la globalité. Il faudrait même élargir au-delà des musiques et penser à une échelle beaucoup plus large avec le cinéma, les arts visuels, les éditions, les photos,… Le partage des communs tout simplement. Aujourd’hui, on ne parle plus uniquement des musiques électroniques mais des cultures en général ! Je vois que Technopol est un soutien essentiel pour élever nos actions en France et à l’échelle européenne.

 

Quels sont les projets que tu mets en place au sein de Technopol ?

On travaille sur le projet RIDER·E qui est à l’état de préfiguration et qui ne va pas tarder à être annoncé. Aussi, on a eu la chance d’être accueillis par Technopol pour organiser un workshop à Paris. C’est génial de pouvoir venir dans les locaux et que l’association nous mette à disposition une super équipe pleine de bonne volonté, qui croit justement en ce partage des communs et de la culture.

 

Pour rejoindre l’événement Le Bon Air Festival 2022, ça se passe ici.

Pour adhérer à Technopol c’est par là !

En adhérant à Technopol, c’est un soutien essentiel que vous apportez à toutes nos actions d’accompagnement et de promotion des cultures électroniques. Mais être adhérent·e à l’association vous offre aussi plusieurs avantages : plus d’informations sur notre lien HelloAsso !

Photo crédit : Nairi