Paris s’éveille : la communauté techno au soutien des exilés
Le 15 Avril, l’association des Éveillés publie son tout premier documentaire, L’Éveil. En 52 minutes bien dégourdies, on suit les les actions de ces « noctambules engagé.e.s pour les exilé.e.s », qui ont su convertir festivités en action sociale. Depuis 2017, ils viennent en aide aux réfugiés ayant dû se hasarder vers une meilleure vie, en générant des fonds par le biais de soirées électroniques
Politique dès ses racines, la musique électronique nous vient des communautés de marginaux. Véhicule d’expérimentation, lieu d’expression et d’inclusion, sa fluidité et sa modulabilité lui permettent d’épouser de nouveaux enjeux au fil du temps. Le dance-floor électronique original, c’est celui où les identités diverses se mêlent avec une volonté d’euphorie commune. Malgré les assimilations commerciales inévitables pour tout mouvement à succès, l’underground reste une source d’innovation et d’impact social.
C’est cette vision des choses qui s’anime dans le documentaire L’Éveil. Tout profit est immédiatement reversé aux associations Paris Exil, L’École Thot, école diplômante de français pour les personnes en situation d’exil, les réfugiés et les demandeurs d’asile, ainsi que le collectif La Chapelle Debout.
L’entrée dans le sujet est directe. Dès les premières minutes, on nous présente l’idée, le fonctionnement, les créateurs, et puis c’est parti pour un montage de soirée avec Jacques. On retrouve le parcours d’Océane, cette fêtarde et bénévole engagée. Dès 2015, plus d’un million de réfugiés débarquent en Europe. Les demandes d’asile doublent, les camps urbains se multiplient, les exilés se heurtent aux barrières qui les séparent d’une vie plus paisible, plus juste. Un soir, en rentrant d’une fête, Océane fait le constat de ses dépenses. Prise dans le paradoxe de ces deux cadres, entre la précarité et l’euphorie, elle imagine un lien possible entre eux, celui de « puiser dans l’inépuisable énergie de la fête en organisant des évènements payants dans des lieux partenaires avec des artistes bénévoles », dont tous les profits seraient reversés aux associations. L’idée en main, le projet prend son envol. Alexandre Gain, immédiatement partant, contacte son réseau d’artistes, programmateurs et salles. La première veillée est un succès, tout comme les 28 qui suivent. Les artistes se succèdent, prennent part à cette expérience que Jérôme Printemps de La Tendre Émeute décrit comme « une forme de communion avec le public, une forme de respect et d’attention à chacun et en même temps une volonté de faire groupe. »
Nous avons pu échanger avec le réalisateur Igor Geneste sur la vision du collectif et les enjeux de cette sincère aventure. « A l’origine de ce projet il y a un constat : la question des moyens est centrale dans le soutien apporté aux exilé.e.s. (…) L’exploitation de la musique électronique à travers des événements sociaux est une source de profits évidente. Au-delà de sa passion pour ce genre, Océane a très bien compris cette réalité et elle s’appuie sur celle-ci pour développer son projet », nous raconte-t-il. Le genre y est effectivement favorable, et les « valeurs communes entre la célébration de la musique électronique et la solidarité » sont référencées à plusieurs reprises, notamment par l’illustre Jeff Mills: « Les gens se sont vraiment rendus compte dès le début que les créateurs c’étaient bien eux. Tout le monde était à l’origine de ce forum, pas juste le DJ et le promoteur. On a évidemment toujours vu l’importance d’envisager le son comme transporteur d’idées ».
Cette vision rêveuse reste ancrée dans la réalité du symptôme qu’elle se veut guérir : « la fête que nous souhaitons se doit d’être la plus inclusive possible sans perdre de vue que nous sommes un des socles financiers des associations que nous finançons et qui luttent dans le sens d’un progrès social que nous défendons ».
Les programmations évoluent au fil des idées créatives des membres, dans un esprit DIY qui transforme ces « pages blanches » avec des lives, scénographies et programmations inspirées. Pour cette troupe de riverains « anti-enfoirés », la sensibilisation passe par l’action ; on donne de soi-même et non de sa parole. Aux événements, on agit sans endoctriner, communiquant des messages « d’une manière plus subtile à travers la scénographie ou d’autres éléments visuels diffusés », ainsi qu’en lien direct avec les stands de bénévoles.
On trace le parallèle des attitudes au sein d’un camping de festival, et celles face à un camping d’exilés ; l’un est source de partage entre voisins temporaires, l’autre observe des rangées de tentes entourées, mais solitaires. « Depuis sa création, l’association tente de rassembler deux notions profondément opposées : la fête et la réalité de l’exil. Il était donc impossible de traiter une thématique sans l’autre tout en trouvant la justesse qui convient quand on parle des conditions de l’exil aujourd’hui dans nos sociétés. »
Cette superposition se révèle au montage, dans le fond comme dans la forme. On traverse des images ardentes de nuits parisiennes, puis on troque techno pour sirènes des camions, suivant l’évacuation du campement de Stalingrad commentée par une voisine déconcertée. Plus brut encore, le chant des saxophones qui résonne en arrière-plan des boucliers anti-émeutes des CRS lors de l’évacuation du squat au lycée Jean-Jaurès
L’Éveil ne tombe pas dans le piège du discours du sauveur. Les dialogues abordent les fissures d’une politique de non-accueil de l’État, les conversations puis confrontations entre les forces de l’ordre et des manifestants pacifiques, la confusion quant au nombre de bâtiments désaffectés pouvant servir de lieu d’accueil, la dissonance entre droit, éthique et loi. On nous invite à réfléchir par nous-mêmes sur les failles d’un système où les inégalités de pouvoir sont préservées. « La solidarité, c’est subversif… contrairement à la charité, elle met sur un pied d’égalité celui qui aide et celui qui est aidé. Il y a quelque-chose de très radical dans la solidarité qui contient, en germe, un nouveau modèle de société », commente Aubépine Dahan de Paris Exil.
Les communautés instables au niveau du logement et de la santé sont les plus vulnérables à la crise actuelle. Bien qu’en pause événementielle, Les Éveillés continuent de combattre le statu quo par la solidarité et l’esprit de fête, notamment par le biais d’une cagnotte solidaire. La mobilisation citoyenne à l’œuvre dans L’Éveil nous rappelle ce rôle essentiel de la musique comme engin de changement social. Comme le note Vicky de La Tendre Émeute, « c’est par la subjugation qu’on peut convertir même le pire des salauds ».
Retrouvez toutes les actualités des Éveillés sur leur page Facebook ainsi que le documentaire L’Éveil sur YouTube.