Mathieu Fonsny « Un mur d’écran LED de la taille d’un demi terrain de foot surplombera une scène au Dour festival. »

À l’occasion de la 31ème édition du Dour festival, Technopol a  rencontré Mathieu Fonsny, festivalier devenu programmateur. Il nous raconte son parcours, son métier, sa vision du festival.

 

Avant d’être programmateur, tu étais festivalier, comment cette envie est-elle venue ? Quand as-tu su que tu voulais en faire ton métier mais aussi que tu avais les épaules pour ?

Je viens d’une petite ville, proche de Liège, et comme tous les jeunes j’écoutais beaucoup de musique mais d’une manière marginale puisque personne n’écoutais la même chose que moi. C’était l’époque des CDs, mon père vivait à Bruxelles et j’allais y acheter des vinyles de Techno. À 15 ans, j’ai été à Dour et j’ai compris que je n’étais pas seul. C’était 35 000 personnes avec qui j’ai pu parler, échanger et je me suis vraiment reconnu en Dour. Depuis je ne l’ai plus quitté.

Il n’y a pas d’étude pour devenir programmateur. J’ai fait des études de journalisme à Paris avec un stage aux Inrocks mais c’est finalement en Belgique que je suis retourné, pour un meilleur niveau de vie. Après avoir rencontré Pedro Winter et Justice, j’ai lancé les soirées ‘FormaT’ et petit à petit c’est devenu une résidence à Liège, Bruxelles et Paris au Social Club. En parallèle j’ai été programmateur des Francofolies de la Rochelle, mais ce n’était pas génial dans le sens où j’avais du mal à amener mes artistes coup de coeur. FormaT a eu une scène pendant plusieurs années à Dour, nos bureaux étaient à côté et c’est là qu’Alex m’a démarché pour concevoir la programmation avec lui.

Quelle est la difficulté du métier de programmateur ?

Le plus dur c’est de se faire sa place je pense. Il faut se tailler son réseau et surtout se faire connaître auprès des agents. Il faut être associé à une personne fiable qui place les artistes sur de bons événements, qui assure le cachet et ça se travaille. Parfois c’est en programmant une dizaine de fois un petit artiste qu’on va réussir à en booker un plus gros au sein de la même agence.

Aujourd’hui tu t’y sens toujours à ta place ? Est-ce que ça te stimule toujours autant ?

Bien sûr ! D’une part tu retranscris ce que toi tu écoutes ou découvres, tu partages beaucoup de choses avec les festivaliers. Tu créés des émotions chez les gens, c’est chouette. Le jour où je n’en peux plus, j’arrêterais.

En tant que programmateur d’un festival aussi éclectique, qu’est-ce qu’on trouve dans ta playlist ?

On trouve énormément de choses dans ma playlist. De la techno et du rap car c’est les deux styles avec lesquels j’ai grandi, mais aussi beaucoup de musiques du monde, un peu de jazz, du rap marocain, c’est vraiment très varié. Mais c’est vrai que j’écoute principalement de nouvelles choses via de petites radios comme Red Light Radio et KioskRadio qui cassent les codes ou en discutant avec mes potes.

Parlons un peu de ta relation avec Alex, êtes-vous complémentaire sur vos choix?

On a différent background, Alex vient du rock et du metal tandis que moi je viens de la techno et du rap. On se complète vraiment mais au fil des années chacun est allé vers le style de l’autre. Par exemple lorsqu’on a booké The Smashing Pumpkins il y a quelques années, pour lui c’était évident mais par pour moi. D’un autre côté si moi je lui parle de Juan Atkins, ça paraitra moins évident à ses yeux. Pour être plus précis on a aussi Hugo qui nous aide sur la partie Dub et le Reggae dans la programmation. On fait vraiment tout ensemble et tout le monde a son mot à dire contrairement à d’autres modèles de festival comme le Glastonbury qui compte un programmateur par scène.

Parlons maintenant de Dour, festival bien implanté depuis des années, en 2015 tu disais ne pas avoir du Stromae ou du Christine and the Queens, car si tu commences à mettre des grosses têtes d’affiches, quand tu ne les as plus les gens ne viennent plus. Est-ce que quelque chose a changé ?

Il y a une espèce d’organigramme des festivals en Belgique. Il y a Werchter et Pukkelpop qui se partagent les artistes comme Stromae et Christine and The Queens. Nous on ne veut pas faire ça, et si on le faisait cela montrerait aux agents qu’on est prêt à mettre beaucoup plus d’argent alors qu’on a une limite, un cachet maximum qu’on ne dépasse pas. Notre communauté ne vient pas pour les têtes d’affiches mais plus pour l’expérience, découvrir, se rencontrer, etc. Mais on a quand même besoin de têtes d’affiches comme A$AP Rocky ou Disclosure pour créer de grands moments où tout le monde se rassemblent sur la grande scène. Des gros trucs comme Metallica ou Radiohead, on ne le fera jamais pour ne pas rentrer dans un système où on est tributaire de ces noms là – sauf si on décide de revoir totalement le fondement du festival qui, actuellement, est basé sur la multiplicité des styles, des genres, et de la découverte.

D’années en années la programmation change, et se renouvelle pourtant certains artistes restent. Comment choisissez-vous de renouveler ou non un contrat ?

Le choix va dépendre de plusieurs facteurs. Le premier va être lié à l’actualité et si on reprend quelqu’un on ne le placera jamais au même endroit/moment que l’année précédente. On souhaite faire évoluer les artistes en les faisant jouer plus tard ou sur une plus grande scène, mais à un moment donné ce principe atteint ses limites.

Le deuxième facteur va être l’amitié et l’ancienneté comme c’est le cas avec Roméo Elvis ou Lomepal qui viennent au festival depuis très longtemps. Roméo Elvis a joué au festival dès ses débuts, et depuis il est toujours revenu. Cette année on lui a proposé d’être le curateur d’une des soirées du mercredi pour affirmer notre relation avec lui. Amelie Lens est aussi un bon exemple, elle vient au festival depuis 2007 et était déjà présente à mes soirées FormaT, on se connait depuis longtemps et ça laisse du temps pour tisser des liens.

Le troisième, et dernier, facteur ça va être la localisation et les exclusivités. Quand tu programmes Lomepal tu mets une exclusivité parce que ça coûte cher. Tu le préserves chez toi en limitant les possibilités de le voir ailleurs avant le festival.

En cas d’annulation ou de refus, comment faites-vous pour rebondir ?

C’est simple, dès que tu reçois un refus, tu passes au suivant. Si tu rumines, c’est foutu : parfois on gagne, parfois on perd. On a déjà eu plein de refus, je ne saurais même pas t’en citer. Je suis plutôt un râleur et si Alex m’a bien appris quelque chose c’est de passer au suivant.

Lorsque tu es face à une annulation, tu remplaces, tu modifies ton line-up ou tu fais rejouer un artiste. Il y a toujours une solution et ça fait partie du job, il faut être créatif dans ces moments là.

L’avantage à Dour c’est que les festivaliers ne râlent pas et savent très bien que si X artiste n’est pas là ce n’est pas grave ils pourront voir une centaine d’autres groupes.

Cette année quelle est ta grosse fierté niveau booking ?

Je dirais qu’il y en a beaucoup. Je suis content d’avoir Skepta, ça représente beaucoup de chose en Belgique mais aussi Master at Work car ils ne font plus beaucoup de shows. Les curateurs sont eux-aussi une belle fierté, c’est la première année qu’on propose ce format avec Amelie Lens, Salut c’est Cool, Roméo Elvis, Bonobo….

Par rapport au calendrier, parle-nous de ton planning, comment cela s’organise en tant que programmateur sur un festival d’une telle envergure ?

Il y a plusieurs moments clés, je dirais qu’il y en a trois. Pendant le festival précédent où tu te dis qu’il manque peut-être de la Drum&Bass sur X scène, qu’il manque de l’énergie sur X scène, etc.

Quelque part tu anticipes et tu as déjà des demandes de positionnement pour les années suivantes. Après il y a une vague pause, une sorte de trêve des agents en août… c’est les vacances !

En septembre on passe au deuxième moment clé, on commence à réfléchir aux styles, par scène et par jour. On part d’une feuille blanche et on essaie vraiment de créer un équilibre. De septembre à janvier on va commencer à préciser les groupes qu’on veut inviter, puis les contacter. Dans toutes nos idées, il y a les gens que l’on souhaite contacter et ceux qui nous démarchent.

Fin mars on termine la programmation, il faut faire les bons choix, rééquilibrer la programmation par rapport aux réponses qu’on reçoit, etc. Parfois on laisse une place vide jusqu’au dernier moment et on part du principe que si personne ne l’a rempli, les artistes commenceront tous un peu plus tard : c’est ce qui s’est passé avec le rappeur américain Vince Staples.

Vous semblez vous préoccuper davantage du développement durable cette année, un des sujets au coeur de l’actualité. La parité est aussi à la bouche de plus en plus de monde, comment gérez vous cet équilibre homme/femme dans vos programmations ?

Bien sûr qu’on essaie ! C’est important pour nous. Le problème c’est que dans certains genres comme le reggae, le métal ou drum’n’bass c’est difficile de trouver des femmes. Sur la scène reggae on a l’artiste jamaïcaine Koffee mais c’est clair qu’on est loin de la parité. Si tu regardes la scène techno ou la scène hip-hop on l’atteint ou on en est vraiment pas loin. Cette année ça a été difficile de trouver des femmes sur la grande scène, on a tenté de se positionner sur des choses mais on a raté nos coups, finalement c’est parfois un concours de circonstances.

La performance ou le show tient une place grandissante dans l’événementiel. Des activités fleurissent comme le VJing ou les performances audiovisuelles. On en voit quelques uns- sur votre programmation (Le Motel (live A/V) ou VJ rien) est-ce qu’à terme c’est quelque chose que vous souhaitez développer ?

On a une énorme programmation VJ qui n’est pas encore annoncée et qu’on dévoilera plus tard. Les VJs jouent sur la scène RedBull et comme chaque année on améliore la scénographie avec des écrans. Cette année c’est un mur d’écran LED de la taille d’un demi terrain de foot qui surplombera la scène. En tout on a une quinzaine de VJs sur place, qui reste les cinq jours.

Une autre scène, pas encore annoncée et en partenariat avec KioskRadio, accueillera de la projections 360°.

Dour fête cette année sa 31ème bougie, si on te demande d’imaginer le festival dans 20 ans ?

Toujours avec la même communauté, mais un festival qui aura su vivre avec son temps en anticipant les grandes thématiques comme l’environnement, la parité, etc, sans s’enfermer dans quelque chose en se disant que tout est acquis.

Retrouvez plus d’information sur le Dour Festival : Site Internet / Page Facebook / Billetterie

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Photos : © Boris Görtz
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