Marathon! : « Ce qui m’intéresse, c’est la musique. Pas de savoir s’il s’agit de musique électronique, ou bien de musique contemporaine. »
Après les trois lives A/V présentés par le Gray Area Art + Technology de San Francisco, c’est au tour de l’équipe de Marathon d’investir une nouvelle fois la Gaîté Lyrique. Le 30 novembre, la soirée propose pour sa sixième édition plus de 6 heures de musique grâce à plus de 40 artistes présents sur scène. Rencontre avec Laurent Jacquier, le programmateur et fondateur de l’événement.
Bonjour Laurent, merci d’accepter de répondre à nos questions. Parlez-nous de votre parcours en tant que programmateur : comment en êtes-vous arrivé à la tête de la programmation de Marathon
J’ai créé les soirées Marathon ! en 2014, en créant ma propre structure, car j’avais envie de faire entendre pour un même public et sur des mêmes soirées à la fois de la musique électronique et des musiques répétitives. Musiques qui ont des liens esthétiques importants entre eux, mais qui ne se rencontrent que trop peu, voir jamais sur des mêmes temps de diffusion. Cela faisait déjà quelques temps que je constatais qu’il résidait un réel manque de ce type de soirées. En cela, Marathon ! propose vraiment un concept unique. Le 30 novembre prochain, vous pourrez à la fois écouter du Steve Reich, Terry Riley lui-même, mais aussi un live de Donato Dozzy ! Curieusement, nous n’avons toujours pas de concurrence ! Cela s’explique par le cloisonnement des genres musicaux, des programmateurs etc Alors qu’il y a une belle carte à jouer justement pour faire entendre à un public plus jeune des musiques plus audacieuses ! Perso, j’aime autant la musique d’un Terry Riley que Donato Dozzy ou Max Cooper. J’ai donc voulu réaliser un rêve de faire entendre ces musiques sur une même soirée, pour un même public !
Vous misez sur la transversalité artistique mêlant musiques électroniques et musiques savantes. Un concept qui vient avant tout d’un constat, comment avez-vous réussi à mettre cet événement en place ?
En créant une association portant le projet, en faisant des dossiers de subventions (un projet comme celui-ci coûte cher !), et grâce aux bonnes relations que j’entretiens avec la Gaité Lyrique, depuis son ouverture. J’avais mes bureaux à la Gaité Lyrique de 2012 à 2015, et cela m’a permis de rencontrer l’équipe, de tisser des liens avec eux, importants pour mener à bien un événement. La Gaité Lyrique est vraiment un lieu parfait pour y présenter le Marathon !, entre institution culturelle et culture musique dite « actuelle ». L’ensemble des partenaires financiers que nous avons autour de Marathon ! a été convaincu justement par cette idée originale de rapprocher les musiques dites « savantes » et dites « actuelles » (on parle toujours d’un problème d’argent, mais il y a surtout un manque d’idées !).
Ce qui m’intéresse, c’est la musique. Pas de savoir s’il s’agit de musique électronique, ou bien de musique contemporaine. Ça, tout le monde s’en fout en fait.
Vous faites le pari de rapprocher des publics – parfois d’apparences incompatibles – et allez à contre-courant de cette idée de cloisonnement. Qu’est-ce qui vous attire dans cette rencontre et cette diversité ?
L’idée qu’en fait, on se parle juste de « musiques ». Ce qui m’intéresse, c’est la musique. Pas de savoir s’il s’agit de musique électronique, ou bien de musique contemporaine. Ça, tout le monde s’en fout en fait. L’intérêt du Marathon ! est de pouvoir passer d’une musique de Steve Reich à un Donato Dozzy, en passant par un « Music for Airports » de Brian Eno, en voyant clairement que ces musiques ont du commun (même s’il ne faut pas à mon avis exagérer les liens historiques et esthétiques entre la musique répétitive américaine et la musique électronique – en réalité, ces musiques ne se sont jamais vraiment croisés, historiquement parlant). Par contre, cela ne rapproche pas les publics ! Le public de Marathon ! est un public quasiment exclusivement de musique électronique, mais qui peut être curieux d’écouter Terry Riley ou une pièce de Reich ou d’Eno. Le public de la musique dite « savante » ira plutôt voir spontanément Steve Reich à la Fondation Vuitton qu’à la Gaité. Nous jouons aussi sur les codes de la musique actuelle pour écouter de la musique répétitive (public debout exclusivement etc). Je m’intéresse tout autant au caractère festif du Marathon ! qu’à ce qui se passe sur scène. Au Marathon !, music never stop : dès qu’il y a un changement de plateau sur la grande scène, une petite forme reprend dans l’entre foyer de la Gaité Lyrique etc Ce qui m’intéresse aussi est de faire entendre des musiques différentes, mais en respectant la nature du genre musical, sans demander à Jeff Mills de jouer avec un orchestre. Au Marathon !, Jeff Mills fait un set de Jeff Mills, et on joue une pièce dans son entier, non remixée, de compositeurs tels que Reich, Eno ou Riley.
Cette confrontation des musiques et publics est encore assez rare mais pourtant apprécié puisque vous affichez complet chaque année. Avez-vous pensé à développer de nouveaux formats : le reste de l’année / en France ou à l’étranger ?
C’est apprécié, mais parce que je mets le paquet aussi en terme de programmation sur une même soirée. Et ce n’est jamais gagné. Le fait que c’était complet ces dernières années était du largement à la présence de « locomotives », tels que Jeff Mills, Carl Craig ou encore Flavien Berger. Il faut donc rester prudent et serein quant au succès public d’un tel concept. La clef d’un succès d’un événement comme « Marathon ! » est aussi sa rareté, le fait que cette soirée exceptionnelle n’arrive qu’une fois par an. Cela s’ajoute également le fait que produire cette soirée exceptionnelle coute deja très cher, et que le fait de supporter le risque d’une soirée me suffit deja pas mal ! Cependant, ayant déménager à Lyon cet été, je travaille actuellement à la déclinaison du Marathon ! sur Lyon.
Amateur de la diversité, y a-t-il des modèles d’événements qui vous ont inspiré dans la création de Marathon ? Peut-être à l’étranger ?
Oui, je dirais le festival de Bang on a Can l’été à New-York, où nous avons joué en 2013 avec le groupe que je produis également (« Cabaret Contemporain »). Et « Days Off »à Paris. Même si cela m’a inspiré, pour m’en extraire et créer l’objet « Marathon !. Car dans les deux cas, le naturel a vite repris le dessus : le festival de Bang on a Can est vite devenu un événement en réalité à grande majorité de musique dite « savante » ou « contemporaine », et Days Off un festival pop, à très grande majorité musique actuelle. Le fait que nous n’avons pas de concurrence vaut pour la France, mais aussi pour l’étranger !
La programmation, toujours très pointue, offre une réelle découverte à votre public. Parlez-nous de votre processus de sélection d’artistes ?
Pointue, pas toujours, car nous avons présenter Carl Craig, Jeff Mills, Flavien Berger … l’idée de ma programmation est justement d’avoir des têtes d’affiches en musique actuelle (ce qui est pour le coup moins le cas cette année, où la prog est là plus pointue en effet), de manière à attirer du monde, qui peut ensuite découvrir des pièces de musique répétitive. Pièces que je mets exprès d’ailleurs vers 23h, juste avant la tête d’affiche. Je pars donc souvent du répertoire de musique répétitive, et je vois ensuite quel ensemble peut les jouer.
Cette année encore, on retrouve un concert d’une oeuvre de Steve Reich. La configuration permet au public de se déplacer au milieu des instruments, à terme peut-on s’attendre à plus de performances immersives ?
Il y a souvent eu des performances immersives au Marathon ! , comme la pièce de Pierre Henry que nous avions donné en 2015, où son parc de hauts-parleurs entouraient toute la salle. Ou en 2014 lorsque nous avions donné à entendre « In C » de Terry Riley avec les musiciens un peu disséminés partout dans la grande salle de la Gaité Lyrique. C’est donc une marque d’identité de Marathon ! depuis ses débuts. Et il continuera d’en y avoir !
Contrairement aux autres années, vous n’investissez pas d’autres lieux, comme le Théâtre de Vanves, comment cela se fait-il ?
Si, Marathon ! conserve un ancrage régional en Ile-de-France, en Essonne (une date au Plan à Ris-Orangis, une autre au Théâtre d’Etampes, une autre à Chalou-Moulineux etc). C’est juste que l’on communique juste sur la soirée à la Gaité Lyrique, car les autres dates en Essonne n’ont aucun liens en réalité (ni de prog, ni de public) avec la date à Paris. C’est pour cela que l’on ne parle pas d’un festival, mais de soirées Marathon ! Nous faisons des soirées en région IDF pour consolider l’assise territoriale du Marathon ! pour les partenaires financiers.
Après avoir fait tomber les barrières entre musiques contemporaines et électroniques le temps d’une soirée, quel sera votre prochain challenge ?
Je pense qu’il y a encore beaucoup à faire sur cette idée originale et unique ! Mon prochain challenge est de pouvoir imaginer un événement à plus grande échelle (avec notamment une jauge plus importante), où je pourrais inviter des orchestres à venir jouer par exemple le « Boléro » de Ravel, pilier de la musique répétitive ! Mais encore faut-il trouver les financements pour cela ! Cela sous-entend de trouver une collectivité territoriale intéressée et des mécènes, susceptibles d’apporter un support financier important, de manière à pouvoir avoir une jauge plus importante, et donc des recettes propres plus importantes.
J’y travaille.
À terme, comment souhaitez-vous faire évoluer l’événement Marathon ?
Comme précisé ci-dessus : imaginer quatre, cinq soirées à la suite (tout en conservant le caractère exceptionnel de l’événement), avec plus de financements, et donc plus d’artistes, et plus de public ! Pour imaginer une plus grosse fête !
Plus d’informations sur la soirée MARATHON! : Event Facebook / Billetterie