10 minutes avec la DJ et productrice Goetia, figure incontournable de la scène hardcore

Retranscrire une rencontre, transmettre une histoire, délier les langues et apprendre de celles·ceux qui façonnent notre paysage des cultures électroniques. Technopol part à la découverte des personnalités singulières de notre milieu, certaines dans l’ombre et d’autres sur le devant de la scène.

À l’occasion des deux dernières dates de la tournée Born To Rave du label Audiogenic, nous consacrons notre rubrique “10 min avec” à la DJ et productrice Goetia. Figure incontournable de la scène hardcore, pionnière emblématique féminine du genre en France, elle clôturera en beauté les deux dernières soirées. Rencontre.

 

Ta musique et le mouvement hardcore français ont beaucoup évolué depuis les années 2000. Comment définirais-tu ton style actuel ?

Mon style a effectivement évolué et bien heureusement, c’est le bénéfice de quelques années de studio. Pour la technique, c’est bien sûr une conséquence de l’évolution des plugins et des DAW (Digital Audio Workstation)… Les instruments de cuisine sont différents, j’ai commencé avec la première version de FL Studio. Avant ma technique consistait à maîtriser l’art du sampling et au fur à mesure, j’ai zoomé sur la structure d’un morceau. Mais de manière générale, j’aime surfer sur les tendances à travers l’émergence des nouveaux sous-genres et travailler avec d’autres producteurs et rappeurs de différents horizons. Une chose est sûre, j’essaie toujours d’intégrer des influences de beats trap, hip-hop, orchestral, EDM, métal… c’est aussi une évolution au niveau de l’inspiration.

Par ailleurs, certains de mes morceaux comportent des lyrics écrits et incarnés par ma voix et çà c’est un autre plaisir à partager. Mais j’ai toujours préservé mon ADN Hardcore dans le temps même si j’ai produit des beats sous un autre nom et dans un autre style que le hardcore.

 

Pourrais-tu revenir sur tes débuts, comment cela s’est-il passé pour toi ?

J’ai commencé d’abord par la composition avant d’être DJ pendant que j’étais étudiante en 2000. Véritablement, mon objectif de newbie était de m’imprégner de cette musique complètement à part, stigmatisée comme du bruit par les plus critiques, et d’en percer les secrets… Tout ceci d’une manière volontaire et totalement autodidacte. Je balançais par la suite ces prods sur mon site de l’époque car il n’y avait pas ou peu de réseaux sociaux. Au bout d’un an de production acharnée, Déborah (Audiogenic) me contacte et me produit mon 1er EP sur Neurotoxic en 2002.

C’est ainsi que mon aventure musicale a débuté, et au fil du temps, j’ai commencé à me produire sur d’autres labels dont certains furent créés à mon initiative. J’ai aussi produit plusieurs vinyles. Ainsi donc des promoteur·rice·s m’ont contacté afin de jouer en soirée et c’est comme ça que je suis passé de productrice, live act (machines) aux platines.

 

Que peux-tu nous dire sur l’évolution de ton style musical ? Qu’est ce qui a marqué le passage de l’oldschool à la suite ?

En tant qu’artiste, on grandit à travers le temps, on mature certaines choses et forcément cela impacte notre façon d’appréhender la musique. Personnellement, je kiffais chaque période du hardcore, mais de mon expérience quand j’ai commencé à produire, l’influence venait de ce qu’on appelle aujourd’hui le oldschool ou encore le early.

À mes débuts on parlait de gabber, de hardcore, plus tard en 2005 on parlait de frenchcore, de UK style avec le label Deathchant, de happy hardcore, de mainstream, hardcore USA… L’oldschool, c’était l’influence des aîné·e·s.

 

En tant qu’activiste du milieu depuis une vingtaine d’années, quelles sont les évolutions que tu as pu constater sur la scène hardcore ? On pense notamment à la sous-représentation des minorités et notamment celle des femmes dans cette esthétique musicale.

Honnêtement, quand j’ai commencé je n’avais pas de perception de discrimination de genre. Mon identité de femme dans ce milieu ne semblait pas être un frein ou un inconvénient. La musique a toujours été plus prégnante et je ne la sentais pas genrée. J’ai rencontré beaucoup d’artistes en tout genres et à leurs yeux la qualité des productions était la chose la plus importante.

De mon point de vue (peut-être naïf ?), la musique underground et spécialement la sphère hard music est plus inclusive, ouverte. Ton identité, c’est ta musique, ton style et non ton sexe. Mais ça, c’est comme un vœu pieu donc c’est vrai qu’il y a tout de même eu une tyrannie masculine comme un monopole. Mais ce n’est pas lié au milieu du hardcore, c’est un problème sociétal. Quand une femme réussit, c’est qu’elle a abusé de ses charmes féminins et on me l’a déjà exprimé d’une manière plus triviale. À mes débuts en France, nous étions effectivement peu nombreuses, environ six artistes féminines peut-être, et encore moins dans l’espace de l’organisation de soirée et de gérance de labels hardcore. Pourtant, en France, le peu était qualitatif. Je peux citer Déborah (Audiogenic), Céline (Karnage Records), Cécile (Epileptik) mais honnêtement, toujours avec une belle alliance masculine. Aujourd’hui, elles sont nombreuses et cela semble proportionnel à la stigmatisation. A tel point, que des artistes se sont produits masqués avec des noms très évocateurs comme à l’époque d’« Androgyne Network » évacuant le genre au bénéfice de la musique et du talent. C’est plus tard que j’ai compris cette, comment dire, différence dans l’industrie de la musique et ce que certaines femmes dj/productrices subissaient à cause de leur genre. J’ai moi-même été insultée sur les réseaux sociaux.

Maintenant, des femmes comme des hommes m’ont ouvert la porte, j’ai toujours reçu plusieurs témoignages de respect de femmes et hommes. Je suis fière, c’est vrai d’associer mon ADN hardcore à celui de femme artiste en France et à l’international, mais plus spécialement en tant que 1ère femme artiste hardcore dans le monde arabe.

Je crois que nous les femmes, de la Hard dance, n’avons pas besoin de militer ou revendiquer notre appartenance féminine. Notre identité, c’est la culture Hard.

Il y a peut-être eu une ambiguïté me concernant, car j’ai souvent employé le mot « Riot » et là, certain·e·s m’ont collé une étiquette de féministe militante. Pour moi, la première signification, c’est émeute et contre émeute, le bordel, l’énergie, quoi. Après le militantisme est en deuxième lecture comme un clin d’œil malicieux.

Je pense que le public hard se fout de ta sexualité, ton origine, ton niveau social, ce qui importe, c’est le feeling partagé avant toute chose. La musique en premier et je vise les fans de ce mouvement. Et c’est bien pour cette universalité que le hardcore reste le mouvement que je défendrai de toute mon âme en dépit de ces haters.

 

Tu as créé ton propre label « Hardcore Riot » il y a un peu plus de deux ans. Qu’est-ce qui t’as motivé à te lancer dans cette nouvelle aventure ?

J’ai voulu créer ce label d’abord parce que c’est ma manière de contribuer à l’épanouissement de notre mouvement toujours côté underground. Et aussi pour faire éclore de nouveaux talents, les jeunes artistes en herbe ont une place légitime dans ce paysage et ont aussi besoin de bénéficier d’une expérience. La transmission est aussi une valeur artistique. C’est par là un principe de vases communicant en restant connecté et à l’écoute de cette nouvelle génération Z qui avec sa fraîcheur et vision peut ouvrir de nouvelles voies (sonores, of course) de la hard music. J’ai tout de même produit près d’une dizaine de releases et jeunes artistes sur ce label…

Avec toujours l’anthem : le Hardcore comme unité de partage (sous toutes formes) et le RIOT comme énergie créative (et émeutière).

 

Comment appréhendes-tu tes prochaines dates pour la tournée Born To Rave ?

C’est singulier, mais je le ressens comme un retour aux sources : retrouver le public qui m’a adopté, adoubé. Je suis donc sereine et tout excitée à l’idée de kiffer. Je compte bien mettre les décibels. Et puis il y a du beau monde sur les line-up comme le pilier de la scène hardcore qu’est Radium.

Et pour être franche, c’est le public français qui fut en quelques sortes mon parrain, c’est avec lui que tout a commencé, il m’a donc permis de concrétiser un rêve de jeunesse.

C’est vrai qu’avec le temps mes fans de la première heure, « les ancien·ne·s » gardent en mémoire mes petites et grandes folies alias mon versant le plus extrême. La tournée va aussi être l’occasion de me rapprocher des plus jeunes. J’ose croire qu’ils suivront leurs aîné·e·s… Et je ferais en sorte que..

En-tout-cas, cela s’annonce comme une aventure riche en rencontres particulièrement intenses qui arrive comme une forme de récompense dans ma carrière. Même si j’ai déjà pu m’exprimer et performer dans de nombreux festivals prestigieux, et autres soirées à travers l’Europe. Je vais donc savourer cette première avec autant d’inspirations que de jubilations.

 

Quels sont tes projets pour 2023 ?

Comme évoqué, la tournée « Born To Rave » va me permettre d’entamer un premier semestre dans de très bonnes conditions artistiques et bien sûr promotionnelles. Mon nouvel album, signé chez Audiogenic, sera bientôt prêt à faire chauffer des salles comme des platines… Et sans trop me révéler, 2023 réserve un grand nombre de surprises….

 

Un mot sur la tournée Born To Rave

 

Born To Rave 2022 au Double Mixte à Lyon

 

Conçue comme une plongée aux confins de la Hard Music, la tournée Born To Rave offrira une programmation rare mettant en avant un large panorama des styles de musiques électroniques, allant de la Hard Techno au Hardcore en passant par la Tribe ou le Hardstyle. Au total, plus d’une cinquantaine d’artistes, des têtes d’affiches internationales et nationales aux que étoiles montantes se relaieront les platines sur l’ensemble de la tournée. Le tout sera mis en lumière par une scénographie associant projections 3D et mapping vidéo afin d’offrir à tous ses publics une expérience totalement immersive.

Après un passage à Caen, Lyon et Paris, la tournée se clôturera avec deux soirées en présence de l’incontournable DJ Goetia :

 

 


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