La Tecktonik : essor fulgurant et chute brutale d’un phénomène de société

Il était une fois… La tecktonik, le thérémine, le voguing, la drum&bass, la vie des cultures électroniques. Vous connaissiez leur nom mais pas leur histoire. Travail d’investigation et de décryptage, Technopol vous fait revivre les courants, les genres, les événements, les machines et les mouvements qui ont façonné la culture que nous connaissons aujourd’hui.

 

Technopol se penche sur l’histoire d’un mouvement dont le succès fulgurant fut aussi rapide que le déclin brutal et définitif : la Tecktonik. Bien qu’aujourd’hui sujette aux moqueries et sorte d’emblème du mauvais goût, il convient de saluer l’engouement que la tecktonik a pu soulever au début des années 2000. Véritable phénomène de mode allant bien au-delà d’une simple danse, elle symbolise une époque, une sorte de mini-révolution, aussi bien stylistique que musicale.

La tecktonik tient ainsi ses origines de la musique hardstyle, au rythme très rapide, grimpant jusqu’à 170 bpm, un genre provenant de la Belgique et des Pays-Bas. Ce mouvement et toute son esthétique s’importent en France par le biais de deux personnages : Alexandre Barouzdin et son compagnon Cyril Blanc. Au début des années 2000, Alexandre est de retour de Londres, où il est devenu un adepte de la vie nocturne. Il commence alors à organiser des soirées dans un club tenu par un ami à Rungis (Val-de-Marne) : Le Metropolis. Voisin d’un McDonald’s au bord de l’autoroute 106, ce lieu underground deviendra le temple de la tecktonik, dont le nom s’inspire des plaques qui s’entrechoquent en créant des séismes ou des éruptions volcaniques.

Danse électro aux mouvements saccadés, s’inspirant de différents styles comme le voguing ou le hip-hop, avec des secousses de mains rapides et synchronisées, en harmonie avec la vitesse du rythme, la tecktonik s’articule avec une grande précision et forme en réalité une véritable performance sportive. L’attitude des danseurs est essentielle, caractérisée par des sourires fréquents et une certaine nonchalance qui définissent le style. Les mouvements sont guidés par la musique, tandis que le respect du rythme et une précision quasi robotique restent primordiaux.

Par ailleurs, comment parler de la tecktonik sans évoquer le style vestimentaire des danseurs ? Ces derniers arborent des crêtes savamment modelées au gel, des couleurs fluorescentes et des accessoires cloutés. C’est toute cette esthétique très particulière et parfaitement identifiable qui suscite l’engouement, phénomène qui transcende ses origines.

Pendant quelques années, les soirées organisées au Metropolis attirent principalement une clientèle jeune de banlieue, préservant ainsi son statut underground. Mais l’avènement d’internet et la médiatisation soudaine de la tecktonik la transforment en véritable bouleversement, et c’est lors de l’été 2007 que cette dernière explose. Petit à petit, des vidéos de jeunes se filmant en train de danser se répandent sur YouTube et Dailymotion, plateformes qui régnaient en maître avant le sacre des réseaux sociaux.

Une des premières vidéos à faire le buzz sur YouTube est celle d’un danseur du nom de Jey-Jey, qui se filme dans son garage : une minute trente de démonstration qui lance l’engouement, la séquence comptabilisant aujourd’hui 15 millions de vues. La récupération commerciale est lancée.

Comment ne pas citer le remix électro du tube de Yelle, “A cause des garçons” par DJ Tepr qui deviendra viral en juin 2007. Mi-septembre de la même année, la Techno Parade intègre la tendance à son événement en lui dédiant une scène. En novembre enfin, le duo allemand Mondotek atteint la première place du hit-parade avec son titre « Alive », dont l’air revient immédiatement en tête. Son clip met en vedette des danseurs célèbres de l’époque, Jey-Jey, Lili Azian et Karmapa.

Alexandre Barouzdin est invité sur France 2 par Laurent Ruquier, développe de nombreux partenariats avec les chaînes télé, une boutique tecktonik ouvre dans Paris et provoque de longues files d’attente dans la rue ; Alexandre et Cyril organisent des tournées en Russie, au Japon ou à Madagascar… Le monde s’emballe.

Mais soudainement, cette surmédiatisation provoque un effet de trop-plein, et la tecktonik explose en plein vol, probablement par excès de récupération marchande. D’un mouvement culturel rassemblant la jeunesse, le phénomène a évolué vers un véritable business. Les soirées ont petit à petit cessé, les groupes de battle ont disparu, et le mouvement s’est dissous. Le magazine culturel Snatch titrait ainsi en 2010 : « Comment la tecktonik est-elle morte ? ».

Pour le sociologue Michel Fize, interrogé par France Info en 2017, c’est l’absence de message de la tecktonik qui l’a empêchée de perdurer. « Avec la tecktonik, on ne disait rien, c’était un mouvement sans revendication, sans prétention. Il n’y avait plus vraiment de combat à mener, contrairement à ce qui se passait lors de l’émergence du rock’n’roll et du rap. »

 

Article écrit par Maëlle Pinson

 


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