Entre musique et architecture, Béton Le Havre : rencontre avec Emmanuel Borchec
Béton Le Havre, festival mêlant musique et architecture, est de retour les 20, 21 et 22 septembre prochains, au Havre. En véritable tête-d’affiche aux côtés d’artistes comme Vanille, Bérou ou Rounhaa, la ville du Havre est à l’honneur grâce à un programme de talks, projections, balades, visites… interrogeant l’architecture, le matériau béton et l’habitat dans cette ville portuaire.
Emmanuel Brochec, cofondateur du festival s’est prêté au jeu de nos questions. Il nous en dit plus sur ce festival portant les aspirations d’une génération curieuse et exigeante.
Hello Emmanuel. Pour commencer cette interview, pourrais-tu te présenter et dire quelques mots sur le festival Béton Le Havre ?
Je suis Emmanuel Brochec, l’un des cofondateurs de Béton Le Havre. C’est un festival qui mêle musique et architecture, les deux piliers de notre événement et qui existe depuis maintenant six ans. L’idée est de proposer des événements en lien avec la musique, à la fois électro et rap, les deux styles que l’on développe. En parallèle, il y a tout un volet architecture qui permet au public de découvrir la ville différemment, d’avoir des formats OFF qui mêlent musique et architecture. Il y a des balades assez classiques de l’Appartement Témoin, de l’église St Joseph, de tout le parcours UNESCO… Le Havre est une ville qui a été détruite et reconstruite, donc il y a beaucoup d’éléments intéressants à découvrir.
Qu’est-ce qui a motivé la création de ce festival entre musique et architecture ?
Moi je suis du Havre, c’est étrange de dire que je suis passionné par cette ville, mais depuis longtemps, je vois que le rapport à l’espace y est vraiment différent, que ce point d’attraction de l’architecture est quelque chose d’important. Nous rêvions d’un grand week-end avec des passionné·es de musique qui viendraient découvrir des choses. Notre philosophie est d’associer l’expérience musicale à celle du territoire. Le point très fort du Havre, c’est son architecture, son centre reconstruit par Auguste Perret. Nous voulions donc composer un week-end très expérientiel, combinant expérience musicale et expérience de la ville à travers ses constructions d’intérêt. C’est ainsi que Béton Le Havre est né : de l’envie de faire kiffer les gens à travers la musique, avec comme tête d’affiche, la ville du Havre !
Peux tu nous parler du déroulement de la programmation musicale du festival ?
Il y a deux grandes soirées musicales qui ont lieu au niveau de la Catène de Containers, une œuvre de Vincent Ganivet, composée de deux grandes arches de conteneurs de toutes les couleurs. Elle se trouve sur un quai duquel on peut voir l’univers portuaire du Havre, mais également toute la partie centre-ville reconstruite avec les immeubles de Perret. C’est autour de cette Catène et de ce quai Southampton que l’on a le site Musique, le site principal. C’est là que se déroulent les soirées du vendredi et samedi : d’abord rap puis électro. Le vendredi soir on a TIF en tête d’affiche, il y a aussi Rounhaa, Yvnnis… C’est une soirée plutôt urbaine, même si je n’apprécie pas forcément prononcer ce terme. Le samedi est plus électro-pop, avec Etienne de Crécy, Isaac Delusion, Dalí, Yoa, Celeritas… La soirée est suivie d’un after dans un club du Havre qui s’appelle le Cosmo, en collaboration avec le collectif Hélios.
La deuxième scène sera curatée par deux crews havrais. Aujourd’hui on voit beaucoup de festivals qui laissent la curation à des collectifs. Pourquoi ce choix, et pourquoi ces deux collectifs en particulier ?
Encore une fois, nous faisons plus la course au sens qu’à la grosse tête d’affiche. Dans cette idée de faire des passerelles, on bosse avec de nombreux acteurs et actrices locaux·ales : le collectif Hélios et Cosmo, club havrais, avec Pays d’Art et d’Histoire et avec les équipes de la Maison du Patrimoine pour essayer de concocter la meilleure programmation. Il était donc assez naturel et porteur de sens que l’on se rapproche du collectif 329 que l’on connaît bien et avec qui on se donne mutuellement de la force sur nos festivals. Le vendredi c’est avec le collectif Ervah que l’on collabore pour composer une scène rap New Gen avec des newcomers qui nous paraissent intéressants. C’est un peu comme tout : on discute et si il y a des énergies qui sont super positives on essaie juste de les réunir pour faire kiffer, ça n’est pas plus compliqué que ça.
Peux-tu nous parler des activités et autres événements prévus durant le festival ? Quels sont les temps forts à ne pas manquer ?
On propose de nombreux OFF liés à l’architecture, dans lesquels il y a parfois un peu de musique. Le samedi et le dimanche après-midi se déroulent à la Halle aux Poissons, une grande halle bétonnée incroyable qui servait à l’époque de lieu de conservation des poissons pour les pêcheurs. Nous investissons ce lieu pour proposer des ateliers pour les enfants, des projections sur la thématique du béton, de la reconstruction… On a le Béton Print Club : une quinzaine d’éditeur·rices spécialisé·es en architecture qui viennent exposer leurs bouquins et leur vision de l’architecture, du design…
Il y a également une série de talks très cool puisque que l’on traite de sujets variés : on parlera de l’architecture du sacré, il y aura des conférences sur les designers de la reconstruction…
Au Havre il y a un appartement que l’on appelle l’Appartement Témoin. Après la guerre, le gouvernement souhaitait tout reconstruire très rapidement, ce qui a donné lieu à des logements assez standardisés. Ces appartements étaient souvent décorés avec du mobilier très design et il se trouve que tous les designers de cette période sont devenus assez connus.
On a également une thématique sur le design et le réemploi portuaire : de plus en plus les créateur·rices n’utilisent plus d’éléments neufs, mais en empruntent sur les chantiers. Ainsi, le collectif havrais Permac et l’atelier marseillais Laissez Passer vont venir échanger sur leurs techniques et leurs philosophies : comment faire du mobilier stylé tout en travaillant le
réemploi portuaire. On aura aussi un sujet sur les femmes dans l’architecture parce qu’en effet, durant la période de l’après-guerre il n’y en avait pas beaucoup et on essaie de décrypter cela.
J’ajoute que, depuis six ans, nous collaborons avec la Maison du Patrimoine, une équipe rattachée à la ville du Havre et qui travaille à fond pour faire découvrir la ville et ses spécificités. Cette année Béton Le Havre se déroule pendant les Journées du Patrimoine, ainsi nous proposerons quasiment 200 balades et visites guidées. Le centre reconstruit, l’Avenue Foch, la Porte Océane, l’Appartement Témoin, l’église St Joseph qui est un édifice incroyable… tous ces éléments seront disponibles pendant le week-end, ce qui fait que l’on pourra facilement profiter des événements musicaux et en même temps prendre une bonne dose d’architecture post seconde guerre mondiale pour enrichir un peu ses connaissances.
On travaille également sur un troisième axe sur lequel on ne communique pas en tant que pilier, lié à la food. A côté de la Halle, il y a un endroit qui s’appelle le Marché aux Poissons, formé par des stands de pêcheur·euses pendant la semaine. Le dimanche on utilise ces stands dans le cadre d’un marché avec des chef·fes régionaux ou nationaux. C’est un espace de street food maritime sur lequel on peut retrouver par exemple un burger de maquereau ou un hot-dog de crabe : chacun et chacune propose des choses en lien avec les produits de la mer.
On a donc un grand food court du dimanche pour atterrir et clore le festival avec un après-midi gourmand.
Pour toi quel est le rôle de Béton Le Havre dans la mise en avant du patrimoine culturel, architectural et musical du Havre ? Comment plaire à la fois au public local et national ?
C’est une très bonne question, à la fois intéressante et vertigineuse, parce qu’il y a plusieurs enjeux. Lorsque l’on veut mettre en place une programmation nationale, on sait que l’on va faire plaisir aux havrais·es et à toute la région parce cela permet d’assister à des concerts d’artistes que l’on ne voit pas tous les jours au Havre. D’un autre côté, on essaie aussi de jongler avec une programmation locale : par exemple, il y a à peu près 70 créneaux pour visiter l’Appartement Témoin, que les Havrais·es connaissent probablement déjà. Le but ici sera d’amener un public plus national, voire international, à venir nous découvrir.
Chacun des éléments du festival peut avoir une cible différente : les grosses têtes d’affiches plaisent à toute la région voire même aux nationaux ; pour ce qui est des balades, quelqu’un·e de Clermont-Ferrand, de Lyon ou de Lille va peut-être venir au Havre pour faire les grands classiques mais à l’inverse une personne du Havre, de Fécamp, de Dieppe ou de Rouen pourra venir à Béton Le Havre parce que l’on y a rajouté le Béton Print Club, des projections de films qu’ils et elles n’ont pas l’habitude de voir, des talks où l’on va un peu plus loin que le simple Appartement Témoin… En fait, on essaie de compléter les choses déjà existantes et d’y ajouter notre pierre pour que les gens passent un week-end de ouf et découvrent la ville.
On a envie de faire un festival qui est à l’image de cette génération : défricheuse, hyper transversale, et d’offrir un week-end parfait au Havre entre musique et archi. L’idée est d’éveiller les consciences, montrer que toute la France ne doit pas être devant la même tête d’affiche. C’est cool aussi de voir des progs, des endroits et des villes différentes. On se définit souvent comme un festival expérientiel. Notre kiff, c’est quand on a une personne qui rentre chez elle le dimanche soir en se disant j’ai passé un week-end de malade, je suis allé a la plage, j’ai fait des pogos devant un groupe que j’aime et en même temps j’ai fait une magnifique balade et j’ai fini en mangeant de la street food de la mer dans un food court qui était incroyable… Ce week-end doit être une expérience un peu globale et quand on a des remerciements à la fin, on se dit qu’on a réussi à faire kiffer cette génération.
Il y a un départ de Paris pour venir en vélo au Havre. Quels sont les autres moyens mis en place pour sensibiliser votre public aux enjeux écologiques ?
Via la thématique même du festival on interroge l’architecture, le matériau béton, l’habitat… On a trois échelles de lecture : béton la matière, béton l’habitat (par exemple lorsque l’on parle des designers de reconstruction) et l’échelle un peu plus globale de la ville : quelles sont les logiques de réemploi, de sa réutilisation. Chaque année on a des sujets sur l’impact écologique néfaste du béton, comment réussir à faire du béton plus propre… Ce sont des sujets largement abordés. Cette année le réemploi de matériau portuaire au service du design fait partie de cette thématique. Avec ces sujets-là on interroge : on a beaucoup d’étudiant·es, de passionné·és d’architecture qui viennent prendre un peu de jus de cerveau. Nous sommes un festival de centre-ville, il n’y a pas forcément de camping, les gens viennent pour 1 ou 2 jours, donc on essaie de favoriser le train, le covoiturage pour ne pas avoir un impact trop important. Et puis on essaie d’avoir des moyens de venir un peu plus funky, différenciant, comme ce trajet à vélo, qui réunira 100 coureurs et coureuses. Cette année on travaille avec nos copains du Paris Chill Racing, avec qui on avait déjà organisé des choses il y a quasiment 10 ans et qui cette fois ont décidé de venir à vélo. Ils partent de Rouen et lorsqu’ils et elles arrivent au Havre on les accueille avec quelques bières et des concerts.
Si tu devais choisir les temps forts à ne pas manquer cette année, comment comparerais-tu ton week-end ?
Ah ouais… Question difficile ! Si je devais établir mon programme parfait, je commencerais un vendredi tranquille en allant sur le site Musique et en voyant par exemple Tif, rappeur d’Alger incroyable. Je ne me coucherai pas trop tard pour essayer de bien profiter de la journée du samedi avec des visites, des balades un peu classiques, puis assez vite j’irais à la Halle aux poissons, notamment pour faire une petite conférence sur les designers de la reconstruction, ou alors sur le brutalisme pour les nuls. J’enchaînerais avec un petit pique-nique (dont je n’ai pas encore parlé), tout près de l’œuvre Un été au Havre, qui va être fabuleux et que l’on va appeler The Narrow picnic. C’est une œuvre composée d’une toute petite maison miniature, ou l’on va poser des transats, avec de la musique, des performances… Je pense que c’est quelque chose à ne pas louper ! En parallèle il y aura une balade en bateau pour visiter le port avec des DJ set d’un collectif qui s’appelle Sea U Sound. Le soir, je ferai la partie musique et l’after. Le dimanche, je viendrais aussi kiffer à la Halle aux poissons pour partager un moment food. L’idéal c’est que les gens se baladent la journée, profitent de différentes expériences pour ensuite s’amuser le soir au niveau de la musique.
Quelque chose à ajouter ?
J’en profite pour remercier nos partenaires, les collectifs, et toutes les acteur·rices qui nous soutiennent. Béton Le Havre c’est un projet qui se développe années après années, avec à chaque fois des nouveautés, qui se mettent en place grâce aux bonnes énergies qui montent à bord : des collabs, des lieux, bars qui prennent part à l’aventure Béton Le Havre. Mon grand-père a connu des choses difficiles au Havre, avec une ville qui a été détruite. Mon père a aimé sa ville mais sans le revendiquer plus que cela je pense. Nous, notre génération, faisons partie des gens qui défendons cette ville un peu mal-aimée, mais qui aujourd’hui prend sa revanche. C’est pour cela qu’aujourd’hui je remercie toutes les énergies qui font que le Havre continue d’avancer et de briller. C’est un de nos combats : redonner au Havre la place qu’elle mérite.