Horst Festival 2022 : “Aujourd’hui, 55% des artistes programmé.e.s [au Horst] sont des femmes ou personnes non binaires”

Retranscrire une rencontre, transmettre une histoire, délier les langues et apprendre de celles·ceux qui façonnent le paysage des cultures électroniques. Technopol part à la découverte des personnalités singulières de notre milieu, certaines dans l’ombre et d’autres sur le devant de la scène.

 

Du 29 avril au 1er mai dernier, le Horst festival a fait son retour à Vilvoorde sur l’ancienne base militaire d’Asiat, au nord de Bruxelles, pour mêler avec brio musique, arts et architecture. L’occasion pour Technopol de s’entretenir avec Simon Nowak,  programmateur de ce festival qui semble avoir compris les grands enjeux actuels de notre secteur : diversité, parité, égalité des salaires, équilibre entre headliners et découverte, écologie, économie durable et ancrage dans le territoire.

 

Peux-tu nous dire qui se trouve derrière la programmation du Horst festival?

Je m’appelle Simon, j’ai 32 ans et je fais partie du projet Horst depuis la première édition du festival. Je suis en charge de la programmation depuis 2018 et je suis également manager général du festival.

 

La spécificité du Horst festival, c’est sa volonté de construire des passerelles entre la musique et l’architecture. Pourquoi pensez-vous que ces passerelles méritent d’être créées ? 

C’est venu naturellement à partir des centres d’intérêt de tous ceux qui ont monté le projet et de leur volonté de les fusionner. Certains étaient très intéressés par l’architecture, moi je m’intéressais surtout à la musique, d’autres aux pratiques artistiques, et à ce moment-là il n’y avait pas vraiment de festival qui mélangeait tout cela en Belgique. Il y avait surtout d’énormes festivals qui regroupaient le plus de monde possible devant de grandes scènes à la scénographie très classique. On a donc décidé de mélanger tout cela parce qu’on voulait mettre en avant la musique des clubs mais aussi proposer un festival avec un design novateur. On a commencé petit et c’était plutôt simple parce que ce n’était pas un gros challenge technique de construire des scènes avec un design plus architectural ou d’incorporer de l’art dans le festival. Mais avec le temps, le festival a grossi et le challenge technique avec.

Il y a bien sûr des connexions entre la musique et l’art. Les musiciens sont souvent influencés par l’art et les artistes sont souvent influencés par la musique. Ils ont la même façon d’appréhender le monde même si ensuite ils expriment leur créativité différemment. Avec le Horst festival on essaie de les réunir autour d’un même projet . C’est super intéressant de faire réfléchir un architecte à comment créer une scène où un DJ se sentira comme chez lui et où les gens viendront danser dans un cadre intimiste et agréable.

© Jonas Reubens

Peux-tu nous en dire plus sur votre façon de choisir les architectes et designers avec qui vous avez collaboré cette année ?

Les architectes sont choisis par un membre de l’équipe du festival, Matthias qui est lui-même architecte. Il prépare une longue liste de studios d’architectes avec qui il aimerait travailler, en fonction de leur esthétique ou peut-être parce qu’ils ont déjà un pied dans l’univers de la musique et des festivals. Ensuite toute l’équipe se réunit pour discuter de cette liste et faire son choix en fonction de nos besoins respectifs. 

Pour ma part je suis là pour rappeler les besoins techniques liés à la musique comme les spécificités du DJ booth par exemple. Donc on échange énormément avec les studios. Il arrive parfois que certains studios nous disent qu’ils ne sont pas en mesure de répondre à nos besoins. C’est un processus et un échange constant et pas juste une commande qu’on leur passe du style “hey, on a besoin d’une scène pour le festival !”. Ça prend du temps.

 

Est-ce qu’il y a une correspondance entre le choix des architectes et les choix des DJs, est-ce que les DJs peuvent être choisis en fonction du design des scènes par exemple ?

Pas vraiment, je ne choisis pas les DJs en fonction des architectes. En revanche c’est vrai qu’il y a certains types de DJs qui ne correspondent pas au Horst parce qu’ils ont l’habitude de jouer sur de très très grandes scènes et qu’ils ne veulent pas jouer devant moins de 5 000 personnes. Certains demandent des écrans géants, des lance-flammes, un show lumière spécifique… Ça crée une sorte de sélection naturelle : on n’invitera pas Richie Hawtin ou Nina Kraviz par exemple parce qu’il leur faut de plus grosses scènes avec énormément d’équipements que l’on ne peut pas prévoir au Horst avec nos architectes.

© Horst

Le choix du site sur lequel se tient le festival, Asiat-Vilvoorde, n’est pas un hasard, il est le fruit d’un partenariat avec la ville de Vilvoorde afin de dynamiser Asia : que faites-vous pour contribuer à cela ?

Officiellement, le projet de développement avec la ville n’a démarré que cette année donc ça va prendre du temps mais déjà ce que l’on essaie de faire c’est de penser la construction du site sur le long terme. On ne construit pas une installation ou une scène juste pour le festival mais on essaie de faire en sorte que tout soit réutilisable par la suite. Un bon exemple de cela, c’est la scène Moon Ra qui accueille Kiosk Radio cette année. Nous l’avons construite en 2021 mais nous l’avons laissée et rendue accessible aux riverains, pour leurs événements à eux. Les expositions du festival peuvent aussi être visitées pendant plusieurs mois après le festival. On essaie de faire en sorte que nos installations puissent servir aux communautés alentour.

Après le festival, il nous faut 5 ou 6 jours pour tout nettoyer et ensuite le site est ouvert au public tous les jours de 8 heures du matin à 8 heures le soir. Et c’est nous qui gérons les demandes de projet ou d’événements. On reçoit par exemple des demandes pour des BBQ party ou des mariages marocains ou des compétitions de skate.  Notre rôle, c’est de faciliter l’organisation de ces événements. Vilvoorde est une ville très dense avec peu d’espaces publics, ce site est donc devenu comme une sorte de grand parc public que les riverains peuvent investir.

 

Comment se passent les relations avec le voisinage, est-ce difficile de leur faire accepter la présence du festival chaque année ?

C’est toujours difficile parce que dans une ville comme Vilvoorde, les gens ont des besoins et envies différents. De ce fait, on ne cherche pas à accommoder tout le monde mais plutôt à écouter tout le monde et à trouver des compromis. Nous avons des médiateurs qui échangent avec le voisinage pendant le festival et le reste de l’année qui prennent leurs demandes de projets et d’événements. On leur demande ce qu’ils voudraient voir sur le site, que ce soit un four à pizza, un skate park ou un espace couvert pour se réunir. De manière générale je dirais que 80% des riverains sont ok avec le festival car ça anime la ville, ça la fait connaître, ça fait travailler les commerçants locaux (la boulangerie par exemple qui nous livre 5 000 pains pour le week-end). Les 20% restants sont encore à convaincre. Mais on ne s’attendait pas à avoir 100% d’approbation de toute façon.

 

L’environnement est un sujet primordial que les festivals doivent également prendre en considération. Comment est-ce que le Horst contribue ?

Le site d’Asiat a été inoccupé pendant une quinzaine d’années donc la nature a pris le dessus. Notre parti-pris a été de ne pas arriver et tout désherber et tout couper. On a plutôt essayé de prendre cela en compte et de se servir de cette sorte de jungle urbaine pour redéfinir le lieu. Ensuite, le festival est devenu beaucoup plus durable. L’avantage d’être ici c’est que nous nous sommes rapprochés de beaucoup de nos fournisseurs, par exemple l’entreprise qui nous fournit tous les câbles dont nous avons besoin sont juste à côté, idem pour les restaurateurs. On a donc pu réduire les transports. On demande également aux artistes qui se trouvent à moins de 1 000 km de venir en train. Toute l’offre de nourriture, pour les festivaliers et les artistes, est végétarienne depuis 2016 et on n’utilise que des ecocups. Donc on travaille énormément là-dessus mais on ne veut pas non plus en faire un argument marketing. C’est juste de la logique plus que quelque chose que l’on veut promouvoir pour attirer le public.

 

Une autre préoccupation importante en ce moment pour notre secteur c’est la diversité et la parité. Comment est-ce que vous vous assurez que votre programmation est suffisamment diverse et paritaire ?

Quand on a commencé le Horst, la programmation était très largement composée d’hommes blancs. On s’inspirait surtout des clubs et de ce qui s’y passait mais en évoluant et en en apprenant plus sur la culture électronique et on a réalisé que ce n’était pas ok de programmer seulement des hommes blancs. On avait un vrai désir de diversité et d’équité dans nos line-ups, c’est devenu très important pour le Horst. On voulait également s’assurer que l’héritage culturel des genres que l’on programme au festival soit respecté. La première étape, ça a été de respecter la parité : aujourd’hui, 55% des artistes programmé.e.s sont des femmes ou personnes non binaires. On fait également en sorte de booker des personnes racisées : il y a beaucoup de personnes originaires de Turquie et du Maroc en Belgique, c’est donc important d’avoir des artistes de ces origines au festival. La prochain sujet auquel je dois m’attaquer en tant que programmateur, c’est l’égalité des salaires. Même si je booke 55% de femmes et personnes non binaires, quand on regarde leurs cachets, il y a encore de trop grandes disparités. Je voudrais sensibiliser les agents et bookeurs à ce sujet, leur faire comprendre que 7 000 euros pour un heeadliner homme versus 1 000 euros pour un headliner femme, ce n’est pas normal. Et ce n’est pas facile car nous devons bien sûr être rentable et vendre des billets, et le public vient souvent voir un headliner en particulier. Mais c’est important de s’attaquer à ce sujet.

© Illiasteirlinck

Comment le covid a-t-il affecté le festival ? Est-ce que cette période vous a permis de repenser votre approche en termes de production et programmation ?

Notre équipe a bien sûr été très choquée par l’arrivée du Covid. Ça a été très difficile au début mais on a aussi profité de cette période pour réfléchir à notre projet. À ce moment-là, les membres de l’équipe commençaient à quitter leurs jobs respectifs les uns après les autres et à travailler pour le projet en full-time. On avait développé la production d’événements corporate sur le site d’Asiat également. Mais le covid nous a fait prendre conscience du fait que l’on ne voulait plus organiser d’événements corporate. Il fallait que l’on réfléchisse à comment être rentables sans cela. Ce qui est bien c’est que le gouvernement a apporté pas mal d’aides au secteur, ce qui nous a permis de développer un food court pendant l’été qui a suivi le début de la crise covid. Cela nous a permis de nous maintenir. Et en 2021, on a juste eu beaucoup de chance en étant l’un des premiers festivals à avoir le droit de se tenir après la fin des restrictions. Le public n’attendait que la possibilité de danser donc on a eu énormément de monde.

 

Comme chaque année, la programmation musicale est très bien pensée. Comment l’as-tu articulée ?

J’essaie de faire en sorte que ça soit aussi divers que possible en termes de genres musicaux. J’aimerais beaucoup pouvoir prendre plus de risques mais j’ai bien évidemment la contrainte de devoir attirer le public et vendre des billets. C’est pourquoi j’ai d’abord besoin d’avoir quelques headliners bien identifiables côté house comme Palms Trax ou côté techno. Et ensuite, c’est mon boulot de créer la possibilité de programmer à côté de cela des choses nouvelles et qui sortent de ce que l’on voit habituellement,  et c’est plutôt fun ! C’est génial quand on entend des festivalier.e.s dire qu’iels ne connaissent personne sur le line up mais qu’iels viennent pour passer un bon moment et découvrir de nouveaux artistes. 

© Horst

Il paraît que vous préparez une surprise pour cet automne, est-ce que tu peux nous en dire plus ?

C’est encore un secret mais on a pas mal d’espaces et de bâtiments très cool ici donc notre réflexion du moment porte sur la façon de repenser le club : quels sont les éléments incontournables d’un club ? qu’est-ce qu’il peut apporter de plus ? On a de la place pour un club, on a les moyens de faire des recherches et on a les contacts aussi donc on réfléchit à un projet de club dans l’un des bâtiments du site pour octobre-novembre 2022…

 

Article écrit par Elodie Vitalis

 


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