Dour : rencontre avec le programmateur du festival le plus mythique de Belgique

Retranscrire une rencontre, transmettre une histoire, délier les langues et apprendre de celles·ceux qui façonnent le paysage des cultures électroniques. Technopol part à la découverte des personnalités singulières de notre milieu, certaines dans l’ombre et d’autres sur le devant de la scène.
Rencontre avec Alex Stevens, programmateur du festival Dour, véritable institution et passage obligé pour tous les passionné·e·s de musique. Rendez-vous du 11 au 17 juillet !

 

Pour commencer, pourriez-vous vous présenter et dire un mot sur le festival ?

Je m’appelle Alex Stevens, je suis le directeur artistique du festival depuis 2005. Pour présenter Dour, disons que le concept est le même depuis le début : beaucoup de musique, beaucoup de scènes, beaucoup de découvertes, beaucoup de grands noms. Nous avons changé de site sur les deux dernières éditions : maintenant nous sommes sur un lieu au pied d’éoliennes qui nous permet d’avoir plus d’espace et plus de confort pour le public. 

Le festival a bien grandi au fil des dernières années mais a réussi à garder son esprit du début de découverte, de défricheur et de diversité musicale. 

© Corentin Loubet

 

On peut dire que la programmation de Dour est complexe. Elle regroupe de nombreuses esthétiques musicales avec des artistes confirmé·e·s comme émergent·e·s. Pouvez-vous expliquer la direction artistique du festival et votre démarche dans vos choix de programmations ?  

La direction artistique est de rassembler des personnes de divers horizons qui se rassemblent car iels sont curieux·euses et ont envie de vivre un moment ensemble, de faire la fête. Dans ce cadre là, pour atteindre notre but, nous essayons d’amener de la diversité.

Comme il y a une grande partie des scènes à Dour qui sont constituées de musiques électroniques, nous faisons attention à avoir pas mal de lives car nous trouvons qu’il est dommage de ne programmer que des DJ sets. 

Il y a également pas mal de hip-hop, un genre musical qui fait partie de l’ADN du festival depuis le début : je pense notamment à De La Soul qui avait joué en 91 et d’autres groupes de rap français marseillais qui étaient déjà à l’affiche du festival, à l’époque où les programmations de grandes manifestations étaient plutôt centrées sur le rock. 

Nous avons aussi une scène de dub qui fait aussi partie des origines des musiques électroniques, puis une scène plus indie avec la “Maison de la Prairie” ou le “Labo” dédié aux découvertes musicales.

 

Comment construit-on une programmation ? Quelles sont vos influences et où est-ce que vous allez chercher les artistes ? 

Nous décidons d’abord des scènes qu’on ajoute ou qu’on supprime, mais aussi de leur taille… Nous discutons ensuite de ces sujets avec l’équipe du festival et notamment avec l’équipe de production. Pour que nous ne soyons pas limités sur les scènes, il est indispensable de se coordonner avec l’équipe financière pour voir quel budget nous pouvons allouer à la programmation. Puis nous répartissons ensuite ce dernier sur chacune des scènes.

Nous essayons de trouver un équilibre artistique : des grands noms, des moyens, des petits, de la diversité musicale, du live, du DJ set.  Il faut aussi penser à l’intention de chaque scène, l’ambiance que l’on souhaite donner.  Ensuite, il faut trouver ce qu’on appelle une locomotive, c’est-à-dire le grand nom qui va vendre la programmation de cette journée sur la scène en question. Puis ensuite placer les autres artistes sur les plages horaires.

 

La scène de Balzaal sera curatée par Carl Cox mercredi, jour d’ouverture du festival. Comment cela se passe lorsque vous laissez carte blanche à un artiste ? Est-ce que c’est un travail collaboratif, quelles contraintes donnez-vous ?

Carl Cox est le seul grand DJ techno qui n’est jamais venu à Dour. Nous lui avons donné la possibilité de curater la soirée d’ouverture. Il nous a donc envoyé une liste d’artistes avec qui il aimerait jouer. Nous avons ensuite sélectionné les artistes dans sa liste pour faire la programmation en intégrant nos contraintes budgétaires et la disponibilité des artistes en question. 

Ainsi, nous avons vraiment réalisé un travail collaboratif en tenant compte de sa note d’intention.

 

Cette année, une nouvelle scène va voir le jour : La Chaufferie. C’est en quelque sorte la petite sœur de la scène De Balzaal. Est-ce que vous pourriez m’en dire quelques mots ?

Il y a une très grande culture drum & bass depuis des années au sein du festival. Nous avons fait des scènes plus gabber, techno hardcore, psy, et ces dernières années, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait beaucoup d’artistes que nous n’arrivions pas à placer car nous avions beaucoup d’idées et d’options dans ces genres là. 

Généralement, c’est le genre de choses qui te met la puce à l’oreille : quand il y a beaucoup d’artistes que t’aimerais avoir mais que tu ne sais pas où les placer, c’est qu’il faut changer la disposition. C’est pourquoi, nous avons eu l’idée de créer une nouvelle scène qui va être un chapiteau fermé, plutôt sombre, contrairement à la “De Balzaal” qui est une scène en plein air plutôt lumineuse. 

Le premier jour sera programmé avec Nyege Nyege qui est un festival en Ouganda. Nous avons programmé toute la nouvelle scène électronique africaine avec des beats très accélérés. 

Le jeudi sera la traditionnelle journée Drum & bass qui fait partie des rituels de Dour depuis une dizaine d’années. 

Le vendredi, nous partons sur ce qu’on peut appeler les nouveaux genres de musiques électroniques, par exemple l’hyper pop avec Danny L Harle, l’artiste Mandidextrous qui fait aussi de la bass music très accélérée, et VTSS qui aime mélanger les genres techno qui ont une force implacable. 

Le samedi sera beaucoup plus hybride puisqu’on aura Biga Ranx qui est un artiste dub, il y aura du cloud rap du cloud ragga, Vigro Deep qui fait plutôt de l’amapiano. L’idée de cette journée est d’aller explorer de nouveaux horizons. 

Et pour le dernier jour de clôture du festival, nous aurons Ascendant Vierge, Casual Gabberz ou encore Jacidorex b2b X&trick

 

Comment construisez-vous la programmation de chaque scène ? Comment placez-vous les artistes sur les différentes plages horaires ?

Nous commençons par programmer ce que nous appelons les locomotives c’est-à-dire les plus grands noms, ce qui va rendre la scène visible. 

Il faut aussi tenir compte de l’égo de l’artiste, généralement plus l’artiste est important, plus il voudra jouer tard. Cependant, il y a des artistes avec lesquel·le·s tu peux discuter, et certain·e·s qui pensent plus à ce qu’ils veulent créer et au moment où il le font. Je pense par exemple à Laurent Garnier avec qui nous pouvons vraiment avoir une discussion et qui n’est pas du tout contre jouer plus tôt, mais jouer plutôt sur des plages horaires plus longues, ou bien jouer des clôtures. Certains artistes considèrent parfois que c’est le slot de nuit vers 23h qui est le meilleur. C’est vraiment au cas par cas. 

 

D’une manière plus générale, est-ce que vous pensez la programmation par scène ou dans sa globalité ?

Nous faisons les deux et c’est ça l’enjeu principal de la programmation. Évidemment, nous faisons la programmation par scène pour que chaque scène ait sa propre identité : nous essayons de supprimer certains compromis, puisque faire des choix artistiques c’est aussi prendre des décisions.

Nous faisons aussi la programmation de manière globale : par exemple lorsque la grande scène joue alors la “Boombox” et “La Petite Maison Dans la Prairie” (qui sont les plus grands chapiteaux) ne jouent pas. Ainsi, il faut penser aux horaires et aux déambulations, il y a des adaptations à faire. Par exemple, si le public veut voir Niska et Dinos mais qu’il sont placés sur deux scènes différentes, il ne faudrait pas qu’il se produisent aux mêmes horaires : on veut éviter qu’il y ait des frustrations. 

La vision globale est aussi par rapport au style de musique. Par exemple, nous ne voulons pas faire le jeudi trois chapiteaux de house, et le samedi trois chapiteaux de drum & bass. 

Notre idée, c’est qu’il y ait du choix pour le public selon l’envie du jour et les goûts de chacun. 

 

 

Parmi les autres nouveautés du festival : le passage du festival au format XXL. 3 jours de warm-up avant l’ouverture des grandes scènes. Comment avez-vous pensé ces trois jours en termes de programmation ?

L’idée du CampFest est celle d’un festival dans le camping de Dour. C’est un nouveau festival, qu’on a vu comme un Burning Man où le public vit en communauté pendant les trois jours dans le camping. Il y aura de nombreuses activités telles que du beach volley. Ainsi, ce sera comme un camp de vacances, sur lequel nous avons installé quatre sound systems. 

Comme à Dour, nous avons pensé à différentes vibes. Tout d’abord, une scène qui sera gérée par Legal Shot Soundsystem avec le projet Île-Legal. 

La deuxième scène qui sera gérée par une communauté qui s’appelle le NoName, et qui organise notamment un festival qui s’appelle La Nature qui est un festival underground de musiques électroniques que nous aimons dans l’équipe. Iels vont gérer une scène plutôt electro-house, avec de l’ambient à certains moments de la journée. 

La troisième scène sera gérée par un collectif bruxellois, le 54. Ce sera une programmation avec tous les collectifs bruxellois. 

La quatrième scène, ce sera des DJs que nous avons programmé. Le lundi sera dédié à la drum & bass, c’est un petit clin d’œil à notre rituel historique chez Dour. Le mardi c’est le collectif Soeurs Malsaines qui prendra possession du sound system. Et pour mercredi, nous recevons Le Motel, ancien binôme de Roméo Elvis sur son tout premier album. Désormais il a monté son propre label qui s’appelle Maloca. Il vient avec trois autres Djs pour faire un après-midi consacré au beatmaking, et il présentera son label avec tous les sons qui sont sortis. 

Le festival est gratuit pour tou·te·s celles et ceux qui avaient leur billet en 2021. Pour celles et ceux qui n’ont pas leur pass, iels peuvent choisir entre venir uniquement à Dour ou uniquement au Dour CampFest, ou les deux. C’est vraiment vu comme un nouveau festival. 

© Anaïs Suire

Ma dernière question concerne plutôt l’enjeu écologique pour le festival. Je sais que vous allez créer un lieu qui va s’appeler Square, vous utilisez aussi une scénographie qui se veut durable via l’utilisation des matériaux de seconde main. Mais en termes de programmation, comment tenez-vous en compte des questions liées à l’écologie ? Je pense notamment à la mutualisation des programmations, aux transports des artistes… Est ce que ce sont des questions qui vous parlent et que vous prenez en considération dans votre travail ? 

Nous n’y arrivons pas encore car la programmation de Dour a beaucoup de contraintes financières, budgétaires, de pressions et aussi de concurrence avec les autres festivals. Nous faisons déjà un travail d’équilibriste, nous devons jouer avec beaucoup de problématiques. À chaque nouvelle édition, il y a des contraintes et de la pression qui s’ajoutent sur la programmation. 

Ce sont des questions qui font sens et il faut effectivement les intégrer dans l’équation. Mais avec la pandémie, nous avons rebooké beaucoup d’artistes. Dans la négociation il y a une concurrence très forte donc si l’artiste n’est pas sensible à cela, nous pouvons aussi le perdre… C’est un sujet qui m’intéresse mais la réalité du travail au quotidien fait que c’est dur de régler ces contraintes. J’espère que cela va évoluer et que nous allons réussir à mieux les intégrer dans notre fonctionnement. 

Pour les artistes live, nous faisons une offre tout inclus où c’est l’artiste qui organise lui·elle-même ses transports, son hébergement, nous n’avons pas notre mot à dire là dessus. Pour tout ce qui est DJs, c’est là que nous pouvons avoir une influence en demandant si les modes de transports entre train et avion pourraient être mieux choisis. Mais nous ne prenons en charge que le transport de l’aéroport et la gare jusqu’au festival. Nous ne savons pas comment iel arrive à partir du moment où la tournée est gérée par le manager, l’agence, la/le responsable de production. 

Si nous voulons vraiment avoir une vue d’ensemble et pouvoir la contrôler, il faudrait que nous prenions tout cela en charge…mais organiser la tournée et le transport pour 250 artistes, c’est très compliqué. 

Il y a aussi pas mal d’artistes qui sont en train d’évoluer dans leur mode de fonctionnement, nous le voyons sur les riders. Je pense que la sensibilisation est plus à faire au niveau des responsables de production qu’aux programmateur·rice·s. Nous avons plutôt un rôle d’influenceur et je serai intéressé d’en discuter. Néanmoins, nous n’avons pas trouvé la manière de le faire sans se tirer une balle dans le pied. 

 

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