Agressions sexuelles dans les musiques électroniques : politique du silence ou triomphe du call out ?
Alors qu’un autre artiste de la scène électronique, Bassnectar, a récemment fait l’objet d’accusations pour agressions sexuelles multiples, provoquant des remous au sein de la communauté festive – non sans rappeler la polémique Qui Embrouille Qui survenue en mai dernier à l’échelle française, les différentes structures de l’écosystème se sont globalement peu prononcées sur l’affaire, semant une fois de plus le doute quant aux réactions appropriées à adopter. Retour sur une politique du silence qui commence tout juste à se briser dans le monde de la nuit.
Il y a deux semaines, le compte Instagram @evidenceagainstbassnectar lançait un appel à témoignages pour dénoncer les agressions sexuelles commises par le DJ et producteur Lorin Ashton, également connu sous le nom de Bassnectar. Suite à ces événements, l’homme a confirmé les allégations portées contre lui, puis a « décidé d’y répondre en mettant sa carrière en stand-by » comme l’explique le magazine Trax dans un article paru le 6 juillet dernier. On peut aisément se demander pourquoi l’artiste a encore le pouvoir de décider de ce qui adviendra de sa carrière, alors que l’injonction au call out pourrait provenir des différentes structures de l’écosystème festif qui participent à sa promotion.
Le call out est une forme de dénonciation publique lors de laquelle sont identifiées les infractions commises par la personne visée, de manière à faire prendre conscience à l’opinion publique des agissements inacceptables qui ont été commis. Souvent initié par un ou plusieurs membres de la même communauté, ce procédé semble encore faire peu d’adeptes au sein des musiques électroniques : dans le cadre de cette affaire, la création d’un compte Instagram anonyme, qui ne bénéficie pas de la même notoriété qu’une personne ou structure reconnue par la communauté qui pourrait rendre ainsi plus efficace la transmission de l’information, en est bien la preuve. Et si on se penche sur les dernières affaires d’agressions sexuelles perpétrées dans le milieu, force est de constater qu’il ne s’agit pas là d’une exception.
Le producteur de musique américain Datsik avait en effet déjà renoncé à son label Firepower Records en 2018 suite aux accusations d’agressions sexuelles provenant de sa communauté de fans majoritairement féminine, tandis que l’artiste et producteur Graves a fait la une de la presse nord américaine en juin dernier pour viol aggravé sur mineure. Deux exemples qui marquent une fois de plus l’ambivalence entre des protagonistes anonymes qui osent de plus en plus ouvrir la voix – et la voie – et le silence des acteurs de l’industrie musicale alors que ces pratiques sont bien souvent connues du milieu. Preuve en est que le producteur SQUNTO avait déjà sous-entendu dans un Tweet de 2019 qu’il connaissait les méfaits commis par Bassnectar, sans pour autant le nommer : “Et si un des plus grands artistes de la scène électronique était un prédateur sexuel mais que personne ne se prononçait parce qu’il a une protection juridique exceptionnelle et des fans féroces prêts à intimider les victimes qui tentent d’en parler ?” (traduction française).
Alors pourquoi les acteurs prédominants du milieu ne se prononcent-ils pas alors qu’ils sont les plus à même de mettre en lumière ces affaires ? Dans un article de PWFM qui porte sur une polémique qui a plus directement touché l’écosystème français, mettant directement en cause le DJ Puzupuzu du collectif Qui Embrouille Qui, on peut lire la réflexion suivante : “Cependant, comme l’intégralité de la profession, nous étions au courant de certains de ces faits et nous n’en avons rien dit. Pourquoi ? Peur d’entacher la scène, cette scène que nous vendons de manière si féérique, peur d’entacher des cercles proches que nous côtoyons tous les jours, peur de se mêler d’actes tant éloignés de la belle fête que nous vous proposons tous les jours.” Une réflexion certes rationnelle mais qui symbolise la seule prise de parole d’un média sur cette affaire, et de manière précautionneusement distancée : en 2020, pas de traitement médiatique de cette polémique de la part de la presse généraliste et spécialisée française. Parle-t-on pour autant d’une remise en question de l’ère post #metoo, invoquée à tort et à travers dès qu’il s’agit de refuser de passer sous silence les cas polémiques d’agressions sexuelles ?
2017 avait déjà marqué la libération de la parole de nombreuses femmes au sujet des agressions sexuelles subies dans les milieux artistiques, dans le cinéma mais aussi dans la musique. Pour les personnes qui se sont intéressées de près aux différentes affaires alors dévoilées au grand jour, on se souvient brièvement de la polémique dont a fait l’objet le groupe de musique électronique canadien Crystal Castles. La chanteuse Alice Glass avait fini par témoigner des abus multiples commis par Kath Ethan, son partenaire artistique, qui avaient commencé dès les 15 ans de la jeune femme et dont la communauté avait connaissance sans pour autant ne jamais en parler ouvertement. Un geste qui aurait pourtant été bienvenu, à l’instar de toutes les femmes qui peinent à dénoncer les agressions sexuelles de leurs collègues et membres de leur entourage par peur des représailles.
Il n’est pas question ici de dépeindre un tableau pessimiste de la situation mais simplement de mettre en lumière les paradoxes émanant de la période que nous vivons. Car il faut également rappeler que l’affaire Qui Embrouille Qui a également marqué un call out notoire, véritable message d’espoir pour les victimes et de mise en garde contre les agresseurs connus du monde de la musique. Le collectif a en effet pris la décision le 18 mai dernier de dénoncer les crimes perpétrés par un de ses résidents Puzupuzu, provoquant des remous au sein de l’écosystème entier. Et n’est-ce pas justement le rôle de l’art, de la musique, que de sortir des carcans lisses de l’ordre établi pour invoquer le changement ? Une question ouverte, adressée à tous les artistes, labels, collectifs, clubs, lieux festifs, promoteurs et autres acteurs du monde de la fête, qui détiennent bel et bien le pouvoir de voir un changement essentiel s’opérer à ce niveau au sein des musiques électroniques… et ailleurs.